"La complainte du sentier " est le roman qui servit de base au film éponyme de Satyajit Ray et qui est le premier opus de la "Trilogie d'Apu".
Le roman raconte l'enfance d'un garçon Apou, de sa naissance dans un petit village jusqu'à son départ vers une dizaine d'années pour Bénarès.
Apou est né dans une famille brahmane, de haute caste mais d'une pauvreté absolue. Le père, Harihar, est un intellectuel qui gagne chichement sa vie en composant des prières à la demande ou en faisant des prestations de lecture ou de récitation. Sa haute caste lui interdit de faire n'importe quel travail. Il parcourt ainsi la région dans l'espoir de dégotter le contrat mirifique mais en fait il traine sa fierté et sa misère. La mère, Sarvajaya, est l'élément stable qui élève comme elle peut ses deux enfants Dourga et Apou qu'elle adore. Dourga, la sœur ainée est la compagne de jeux, l'amie et la protectrice d'Apou.
L'auteur Bibhouti Bhoushan Banerji nous plonge dans la vie du petit village du Nord-Est de l'Inde avec les relations parfois amicales parfois hostiles des familles (comme dans tous les villages du monde) et les vagabondages des deux enfants qui en profitent pour chaparder quelques fruits, ici ou là, et satisfaire leur faim.
On sent chez l'auteur beaucoup de nostalgie à décrire avec beaucoup de lyrisme la nature luxuriante à travers les yeux d'Apou. L'éveil à la nature et à la vie d'Apou se concrétise dans une passion dévorante pour les livres que possède son père et qui le transportent dans des aventures merveilleuses qu'elles soient issues de la mythologie hindoue (Mahabarrata, Ramayana) ou même des romans qui, de façon surprenante, racontent des histoires étrangères comme celle de Jeanne d'Arc (sous le haut patronage de la déesse Marie ...). Ainsi, il rêve de voyages lointains, de pays azurés avec des gens aux yeux bleus … Il rêve de cette ligne de chemin de fer qu'il n'a jamais encore pu voir et qu'il empruntera à la fin lorsqu'il partira pour Bénarès... Il rêve surtout des héros des épopées de défense de la veuve et de l'orphelin...
Ce qui est formidable dans ce livre, c'est qu'au-delà des coutumes, des croyances en de très nombreux dieux et déesses, de la cuisine très différente (un glossaire bienvenu permet au lecteur de s'y retrouver), on se sent très proche de ce petit garçon qui a les mêmes réactions ou les mêmes réflexes que n'importe quel petit garçon de n'importe quel pays ou de n'importe quelle race. On pourrait faire sien ses rêves, ses émerveillements. Lorsqu'une troupe d'acteurs ambulants vient donner une représentation d'une pièce de théâtre au village à l'occasion d'une fête religieuse, on imagine très bien l'excitation qui enflamme Apou qui va vivre intensément le spectacle. Et combien, après, il revit la pièce en se transposant dans un des personnages légendaires …
Exactement de la même façon qu'un petit garçon européen vivrait intensément un film qui met en scène un de ses héros préférés.
Emouvant le livre avec les relations – vraies – paisibles – pudiques - pleines d'amour qui ne se dit pas – quelque fois tumultueuses - entre frère et sœur, entre enfants et parents.
Dépaysant le livre, oui bien sûr, évidemment mais finalement si proche par la pensée et les rêves.