Ses lèvres entr'ouvertes tombèrent sur les miennes et l'univers fut oublié.
Envie d'accéder à l'âme d'un écrivain hautement romantique ? Lisez La Confession d'un enfant du siècle.
Toutes les personnes qui n'ont pas lu la Confession sont priées de ne pas poursuivre la lecture de cette critique. Attendez, il y a du suspense chez Musset, que je ne voudrais pas vous gâcher !
Cet ouvrage est un tourbillon, plein de passion, de pleurs, de folie, qui donne parfois un peu le tournis, il faut l'avouer. Peu de temps morts dans le récit : dès le début, on est scotché, cloué devant notre bouquin, atterré en lisant les malheurs qui arrivent à ce pauvre Octave. Au fond, La Confession d'un enfant du siècle, c'est lire la souffrance d'un homme (de Musset, cela va sans dire !) et s'en délecter. C'est sadique, n'est ce pas ? Mais comment ne pas lire tant de souffrance avec délice, quand ce cher Alfred écrit aussi bien ?
Je crois n'avoir jamais lu une analyse aussi poignante et réaliste de la passion amoureuse et des maux qu'elle engendre. Évidemment, il y a une certaine grandiloquence, certains passages frôlent même le ridicule. Hyperboles en veux-tu en voilà, l'amour profane mêlé à l'amour divin, phrases chargées et d'un lyrisme qui vous assomme (de beauté, ou d'ennui, tout dépend de votre degré de romantisme !)... Malgré tous ces excès, bien normaux pour un écrivain de ce mouvement littéraire, on s'identifie tellement à Octave. On pleure avec lui sur la trahison odieuse de sa maîtresse, qui si je me souviens bien, intervient très vite dans le récit. Le choc n'en est que plus grand. On s'emballe quand il rencontre Brigitte. Et évidemment, on a les larmes aux yeux lors de l'excipit.
La narration interne nous invite à rentrer directement dans la "tête" d'Octave. Je n'ai jamais ressenti de sentiments si paradoxaux à l'égard d'un personnage. Quand il voit sa dulcinée avec un autre, j'ai de la peine. Quand il veut tuer Brigitte, je le déteste. Quand il avoue qu'à présent, son seul amour sera celui de Dieu, il est bien touchant. En fait, on n'arrête pas d'osciller entre la haine et l'admiration pour un tel personnage (ce qui n'est pas sans rappeler Perdican de Badine). Voilà le génie de Musset ! J'apprécie aussi tout le flou qui règne autour du narrateur, comme un climat de schizophrénie. Quand Octave se lance dans de grands monologues, on a tout de même l'impression de lire un fou en qui deux êtres contradictoires cohabitent. La folie même de l'écrivain ? Je ne connais pas bien sa biographie, mais il me semble que tout romantique est un peu détraqué. Pardonnez moi l'expression.
La dimension autobiographique de l'œuvre est aussi tout à fait intéressante. Surtout quand on a une édition avec des notes. On voit très bien à quel point Musset a puisé dans ses souvenirs, dans ses lettres, dans sa vie, pour écrire ce "roman". Quoi de plus touchant que de penser qu'il a connu les mêmes affres de l'amour qu'Octave ?
La Confession d'un enfant du siècle vous touchera en plein cœur. Mais le livre a quelques faiblesses : tout d'abord, un chapitre atrocement long, très emphatique, voire complètement dingo sur le Mal du siècle. Vous me direz, c'est important pour comprendre la suite et les angoisses du personnage...Mais que c'est long et lourd ! Il y a bien sûr des passages de pur génie. Historiquement parlant, c'est aussi édifiant. Mais Musset se perd un peu trop à mon goût dans des envolées lyriques et cette loooooooongue digression n'encourage pas forcément à lire la suite. Il faut vraiment s'accrocher. Ca me rappelle presque l'interminable description de la pension Vauquer qui m'a traumatisée pour toujours. Merci Balzac. Autre point qui a tendance à m'énerver : des redondances tout au long du roman. Toujours ces mêmes sentiments, tromperies, hésitations, actions égoïstes d'Octave et j'en passe. Si l'écriture est belle (ok, c'est un euphémisme, elle est plutôt magnifique), les émotions présentes à le lecture, le romantisme est par contre parfois trop présent à mes yeux. Je savais pourtant à quoi je m'engageais en lisant du Musset...Souvent, on a juste envie de dire à Octave : "Écoute, tu arrêtes de pleurer, et tu passes à autre chose ! Tu vas pas te tuer pour si peu !". Et en même temps, c'est ce romantisme absolu et démesuré qui fait la particularité du roman...Ahhhhh, Alfred, tu provoques chez moi des réactions contradictoires !
Mais quel plaisir de suivre ces aventures, de se plonger dans cette période historique si noire, à la jeunesse désespérée !
Quelques passages que j'affectionne tout particulièrement :
"Pardonnez moi, ô grands poètes qui êtes maintenant un peu de cendre et reposez sous la terre, pardonnez moi ! Vous êtes des demi-dieux et je ne suis qu'un enfant qui souffre."
"Toute la maladie du siècle présent vient de deux causes (...) : tout ce qui n'était plus ; tout ce qui sera n'est pas encore."
"Cependant sur cette ruine il y avait quelque chose de bien jeune encore ; c'était l'espérance de mon cœur, qui n'était qu'un enfant."
"Je me souvins d'un certain jour que j'avais regardé avec désespoir le vide immense de ce beau ciel ; ce souvenir me fit tressaillir ; tout était si plein maintenant ! Je sentis qu'un hymne de grâces s'élevait dans mon cœur, et que notre amour montait à Dieu. J'entourai de mon bras la taille de ma chère maîtresse ; elle tourna doucement la tête ; ses yeux étaient noyés de larmes. Son corps plia comme un roseau, ses lèvres entr'ouvertes tombèrent sur les miennes, et l'univers fut oublié."
Quoi de plus poignant qu'une œuvre qui se termine sur un mot si simple ? Ce mot? C'est "malheureux".
Sur ce, je retourne pleurer pour l'éternité.
PS : si les réalisateurs pouvaient arrêter de massacrer la littérature française, ce serait sympa. Non seulement Maupassant va se retourner un peu près 1984392230 fois dans sa tombe quand l'adaptation de Bel Ami va sortir, mais La Confession d'un enfant du siècle avec Pete Doherty ??? Octave ne peut pas ressembler à un rockeur junkie et londonien.