Le rassemblement des glandus
"Quand un vrai génie apparaît en ce bas monde, on le peut reconnaître à ce signe que les imbéciles sont tous ligués contre lui."
La conjuration des imbéciles s'ouvre sur cette citation de Jonathan Swift qui, si tant est que l'on connait un peu l'histoire de son auteur, fait la lumière sur le contenu de son roman. Petit rappel : J.K.Toole, écrivain américain cherchant à se faire publier, hante les maisons d'édition à la recherche de l'âme charitable qui accédera à sa demande, en vain. Il se suicidera quelques années plus tard, persuadé d'être un rebut de la société et un écrivain raté. Plus tard, sa mère découvrira ce roman qu'elle fera lire de force à un éditeur, émerveillé, qui le fera publier naturellement. Renommée mondiale, prix Pulitzer, etc...
L'histoire ? Un intellectuel marginal, repoussé par le monde qui l'entoure et qui se retranche chez sa mère où il crache des flots de haine sur papier. Tiens donc...
Il est évident que J.K.Toole s'est largement inspiré de son expérience personnelle pour façonner son roman (comme tout les écrivains d'ailleurs), mais il l'a fait froidement, endossant son rôle de narrateur objectif et impartial, tapant sur tout le monde et pas seulement sur les autres comme on aurait pu le croire au départ.
Ignatius est une monstruosité, une aberration du genre humain, pourfendeur du bon sens et du bon goût ("de la théologie et de la géométrie"), il hante les salles obscures affublé d'une casquette de chasse grotesque dans le seul but de critiquer les films à la mode, il déambule attifé comme un travesti pour vendre des hot dogs qu'il avale sans discontinuer, bref, il vit en contradiction totale avec ses idées. Les seules fois où il s'y risque l'amènent dans des situations rocambolesques et ridicules, ce qui le contraint à se retourner dans sa chambre, la plume et l'esprit échauffé et l'anneau pylorique étranglé. Le tableau de lui-même que dresse Toole est pour le moins dépréciateur et sans appel. Il s'apparente à un personnage ubuesque dont même Rabelais n'aurait pas eu à rougir.
Le joli monde qui s'articule autour d'Ignatius n'est pas non plus en reste mais ils ne parviendront pourtant pas à l'égaler en pathétique. Parce que oui, ce roman est pathétique. Il oscille sans arrêt entre rire et larmes, joies et peines, rêves et désillusions, sûrement comme la vie de l'auteur. Même si l'on ressent la rancœur d'Ignatius envers le monde qui l'entoure, on sent bien plus encore celle qu'a Toole envers lui-même. Comme Ignatius, il ne brille que par ses écrits, il vit pour la littérature même s'il n'est pas reconnu par ses pairs.
Un des reproches qui lui a été fait (de nombreuses fois apparemment) et principal problème qui rebutait les éditeurs, c'est le problème de la langue. On peut comprendre qu'un langage vulgaire et argotique n'ait pas sa place au milieu des oeuvres littéraire rédigé dans un style fourni et fleuri. C'est étrange, on reprochait la même chose à Hugo pour "Les misérables" et maintenant que j'ai entamé la lecture de "L'assomoir" de Zola, j'apprend qu'on lui reprochait les même griefs, quelle coïncidence... (NB : faire une liste sur la censure et ses ratés)
"La conjuration des imbéciles" aurait dû avoir une suite, j'en suis sûr. Le dénouement aurait été celui de la vie de l'auteur : enfin reconnu, Ignatius intégrerait la société des lettres et nous régalerait de ces tirades sanglantes, ou, pour notre plus grande tristesse, il mettrait fin à ses jours misérablement, inconnu.