Pas évident d'écrire la critique d'un roman auréolé d'une telle réputation et d'un prix Pulitzer attribué à titre posthume ! Plutôt clivant, l'unique roman de John Kennedy Toole. Ce même John Kennedy Toole qui s'est suicidé à 31 ans, déprimé de n'être pas publié. Presque vingt ans après sa disparition, et grâce aux efforts de sa mère et d'un écrivain convaincu du génie de l'auteur prématurément disparu, "La conjuration des imbéciles" connaîtra un très beau succès qui le hissera au rang de classique.
Comment décrire une lecture qui fut à la fois fort laborieuse et assez magnétisante ? Comment expliquer, surtout, qu'un roman comptant moins de 500 pages, m'ait donné autant de fil à retordre ? Plus de deux semaines pour en venir à bout ! Et pourtant, malgré les pulsions d'abandon, j'ai poursuivi jusqu'à la dernière ligne.
Ignatius Junior Reilly, personnage principal, est un être particulièrement repoussant. Obèse, rétif à l'hygiène la plus élémentaire, passant son temps à éructer, roter, péter, se goinfrer et se masturber dans un gant de base-ball, vous conviendrez que le portrait n'est guère flatteur. Affublé d'une repoussante chapka de chasse qui lui couvre les oreilles et chaussé de bottillons qu'il ne parvient plus à lacer, ce trentenaire vit chez sa maman dans un capharnaüm indescriptible (le propre d'un capharnaüm). L'auteur lie donc le lecteur au destin marginal d'Ignatius, pour le pire et le pire.
Libre penseur, adepte de sa pensée unique, révolutionnaire larvé, intellectuel incompris par le prolétariat new-orléanais, Ignatius est un phénomène social voire sociopathe. Autour de lui, tels de monstrueux satellites en orbite, évolue une galerie de personnages tout aussi répugnants et vulgaires, par leurs actes et/ou leurs opinions. Racisme ordinaire, exploitation de la force de travail humaine, misogynie, crasse intellectuelle, dépravations en tout genre, le peinture de l'Amérique des sixties que peint John Kennedy Toole est à l'image de son roman : gerbant et hilarant tout à la fois.
Entre rire et grimace de dégoût, la lecture se déroule, plongeant tour à tour dans l'ubuesque et la satire, et jonglant avec dextérité entre comédie et tragédie. Satisfaite d'être allée au bout de ma peine et de sortir quasi indemne d'un tel roman !