Dommage
Je ne lis pas souvent de roman moderne et j'avoue que quand je le fais, je me fais souvent attraper par la couverture. La crue, et le début de cette série me laisse perplexe.Le livre est bien écrit...
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le 13 juin 2022
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« A l’aube du dimanche de Pâques 1919, le ciel au-dessus de Perdido avait beau être dégagé et rose pâle, il ne se reflétait pas dans les eaux bourbeuses qui noyaient la ville depuis une semaine. Les douze cents habitants s’étaient tous réfugiés sur les hauteurs. A présent, la ville se décomposait sous une vaste étendue d’eau noire et puante qui commençait seulement à refluer. »
Dans le silence oppressant de ce décor post-apocalyptique, deux hommes font naviguer leur canot entre les vestiges immergés afin de mesurer l’étendue des dégâts et repérer ce qui peut encore être sauvé. Une tâche presque vaine dans une ville que tous les habitants ont déjà désertée. Mais alors qu’ils progressent dans les rues noyées du centre ville de Perdido, un mouvement inattendu attire leur regard.
À l’étage de l’unique hôtel de la ville, une silhouette se découpe dans la pénombre d’une chambre. Une femme, assise sur un lit impeccablement fait, le regard étrangement paisible. Là, prisonnière de sa chambre depuis des jours, elle attendait, dans une sérénité presque surnaturelle, d’être secourue. Elle se présente sous le nom d’Elinor Dammert. Nouvelle venue à Perdido, petite ville du Sud de l'Alabama, aux Etats-Unis, elle explique qu’elle n’a pas entendu les ordres d’évacuation et s’est retrouvée piégée par l’inondation. Mais qui est-elle vraiment ? Dans une communauté où tout le monde se connaît, son histoire et son comportement présentent des incohérences.
On lui ne posera finalement pas trop de questions sur son passé. Grande, fine et altière, avec des cheveux d’un roux flamboyant, la jeune femme laisse son charme opérer rapidement sur la communauté de Perdido, qu’elle intègre, une fois secourue. Les hommes succombent à son aura, les enfants s’attachent à sa douceur, et même les femmes, d’abord méfiantes, finissent par céder à sa gentillesse. Toutes, sauf une. Marie-Love Caskey, figure imposante et influente de Perdido, qui reste froide, quasiment hostile. Entre la matriarche de la ville et l’inconnue au passé mystérieux, une tension palpable s’installe, et bientôt une guerre ouverte.
Et tandis que les eaux refluées laissent derrière elles une odeur putride, des phénomènes étranges commencent à se manifester : des disparitions inquiétantes, des phénomènes impossibles… Elinor Dammert est-elle vraiment la jeune femme sans histoire qu’elle prétend être ?
Voilà le point de départ de Blackwater, la saga phénomène de Michael McDowell qu’on ne présente plus. Composée de six volumes, elle a connu un grand succès aux Etats-Unis dès sa parution en 1983, et en France lors de sa première traduction en 2022 aux éditions Monsieur Toussaint Louverture. Acclamée par les lecteurs, elle s’est imposée sur le Booktok et le Booktube avec des avis unanimes.
Alors, la question se pose : Blackwater est-elle à la hauteur de sa réputation ?
D’emblée, je vais être honnête : oui, c’est surcoté. La saga est loin d’être ce chef-d’œuvre qu’on veut nous vendre. Alors je vous dit ça, mais j’ai pris un grand plaisir à la lire, en tout cas les deux premiers tomes à l’heure où j'écris cette critique.
Mais je pense qu’il faut être honnête et ne pas donner de trop grandes attentes envers ces bouquins : oui ils sont super agréables à lire, non ce ne sont pas des chef d’œuvre, et ils n’en ont d’ailleurs pas du tout la prétention.
Avant toute chose, il faut souligner la splendeur de cette édition. Chaque volume arbore un design très soigné, avec une couverture élégante et un véritable souci du détail. L’ensemble forme une collection superbe, ce sont de magnifiques objets de décoration pour une bibliothèque. Vient ensuite la question du prix : 8,40€ l’unité, soit environ 50€ pour l’ensemble des six tomes. Un tarif qui peut sembler élevé, surtout compte tenu de la rapidité avec laquelle chaque volume se lit – une soirée suffit souvent pour en venir à bout.
Personnellement, ce qui m’a captivée avant tout dans cette saga, c’est son atmosphère. McDowell joue avec les codes du gothique et du fantastique dans un équilibre subtil. Son talent réside dans l’art de la suggestion : une tension feutrée, une étrangeté qui flotte sans jamais basculer dans l’horreur pure. C’est un frisson diffus, jamais glaçant, presque confortable. Parfait pour celles et ceux qui aiment l’adrénaline sans se risquer à l’insomnie.
Là où Blackwater m’a un peu déçue, c’est dans son approche du surnaturel. McDowell n’entretient pas vraiment le doute. Là où d’autres auraient laissé planer l’ambiguïté, lui préfère révéler. Ses incursions dans l’étrange sont efficaces, mais parfois trop appuyées, elles manquent de finesse, comme s’il craignait que le lecteur ne comprenne pas.
À cela s’ajoute mon intuition que l’auteur ne prendra pas la peine de développer pleinement ses éléments surnaturels. Je ne peux pas l’affirmer avec certitude, n’ayant pas encore lu la saga dans son intégralité, mais au regard de la manière dont ces aspects sont abordés dans les deux premiers tomes, j’ai le sentiment que de nombreuses questions resteront en suspens, ou du moins insuffisamment explorées.
Quant aux personnages, ils relèvent plus de l’archétype que de la complexité psychologique. Elinor fascine, mais reste insaisissable. Marie-Love agace, mais sans nuance. Dans Blackwater, l’âme humaine n’est pas disséquée. On n’y trouvera ni vertige métaphysique, ni réflexion profonde sur la nature humaine. En soi, ce n’est pas gênant car dans cette fresque, c’est l’atmosphère qui prime, et les personnages servent l’histoire comme dans une série feuilleton. On ne s’attache ici pas forcément à la complexité des intrigues, mais on savoure l’efficacité narrative et les rebondissements vite résolus.
D’ailleurs, le style narratif de McDowell reflète ce choix. Il y a quelque chose de très peu chaleureux, d’un peu froid entre la plume, l’histoire et le lecteur. Cela vient sans doute du caractère “feuilletonesque” du récit, de l’absence de profondeur des personnages, qui fait qu’on ne s’attache pas vraiment à l’histoire. McDowell nous place plutôt en spectateurs omniscients, observant les intrigues de haut, comme depuis une colline surplombant Perdido. Cette approche, si elle peut sembler désincarnée, sert néanmoins le rythme un peu télévisé du récit. Les péripéties s’enchaînent, les résolutions arrivent vite, souvent au bénéfice d’Elinor, cette héroïne aussi insaisissable que fascinante.
Petit détour par l'auteur des romans : Michael McDowell, né en 1950 et disparu en 1999, était un écrivain prolifique du fantastique et de l’horreur. Mais son empreinte ne s’arrête pas aux livres : il est aussi le scénariste de Beetlejuice et de L’Étrange Noël de Mr. Jack. Et finalement, tout s’explique. Comme dans Blackwater, McDowell excelle dans cette horreur douce, un peu macabre mais étrangement réconfortante. Un talent qui, à mes yeux, brille davantage sur écran qu’entre les pages.
Alors, Blackwater, surcôtée ? Oui, sans doute. C’est une lecture dont on ne retire pas grand chose, mais cela n’enlève rien au plaisir que l’on a pris. La saga joue le rôle que lui voulait sans doute son auteur : nous happer dans une atmosphère singulière, nous porter sur ses flots troubles sans jamais trop nous secouer. Si vous cherchez une œuvre marquante, passez votre chemin. Mais si vous aimez les récits fluides et divertissants, laissez-vous emporter par la crue.
Créée
le 1 févr. 2025
Critique lue 3 fois
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