La Curée
7.4
La Curée

livre de Émile Zola (1871)

Second volet des Rougon-Macquart et changement de style. Si, dans La fortune des Rougon, Zola arborait une certaine sobriété, à laquelle il reviendra d’ailleurs de temps à autre, le voici emporté par les envolées lyriques que nous lui connaissons bien et qui ont fait les beaux jours de certains de ces romans, comme Au bonheur des dames - entre autres.


Le titre renvoie aux ravages que va subir Paris, selon Zola, dans la seconde moitié du XIXème siècle, avec les projets d'urbanisation de Haussmann et tous les appétits qui vont avec : c'est l'histoire de l'envolée de la spéculation immobilière qui va ruiner la Ville de Paris. Et Aristide Rougon, qui n'était pourtant pas le mieux placé de la famille pour "réussir", va illustrer ces appétits de pouvoir et d'argent, car c'est par là que s'insinue la fêlure propre aux Rougon. Aristide monte donc de Plassans à Paris et commence à être dévoré par une idée : gagner de l'argent. Beaucoup d'argent. La scène au cours de laquelle il regarde les lumières de Paris et y voit autant d'écus qui vont tomber dans ses poches est très emblématique de son parcours (et pas sans rappeler Balzac, évidemment). Vite débarrassé d'un premier mariage, le voici encore plus vite remarié, grâce à sa sœur Sidonie, et pourvu d'une nouvelle épouse jeune et riche. Mais aussi d'un nouveau nom, sur les conseils de son frère - car un frère tel que lui pourrait se montrer gênant pour Eugène, devenu ministre de Napoléon III. Ce nom, ce sera Saccard, qu'Aristide juge providentiel. Nous le suivrons donc dans ses dégoûtantes magouilles et machinations, destinées à lui faire empocher beaucoup d'argent en arnaquant et les propriétaires des maisons et immeubles qui vont être détruites par les travaux haussmanniens, et la Ville de Paris. Mais sa malhonnêteté et sa soif d'argent s'étend aussi et d'abord à la sphère privée : puisqu'il a besoin d'argent pour se lancer dans la spéculation immobilière, rien de plus facile qu'utiliser l'argent de Renée, sa seconde femme. En la dépouillant de son héritage sans même qu'elle s'en rende compte.


Et c'est en Renée que couve l'autre fêlure ; car dans les Rougon-Macquart, la fêlure est aussi présente chez les personnages qui ne sont ni Rougon, ni Macquart, mais qui les côtoient : cette fêlure des Rougon-Macquart agit comme une corruption. Le roman est donc double : aux appétits d'argent de Saccard répondent les errements de Renée, qui s'ennuie à mourir, cherche à s'oublier dans les distractions de la haute société : bals, sorties en voiture qui relèvent d'un code de société plutôt que d'un loisir, amants, achats dispendieux, voire ruineux, de vêtements de luxe et autres babioles. Quand l'époux cherche à s'enrichir par les moyens les plus immoraux, l'épouse dépense sans compter, et y est même incitée par celui-ci, car elle est la vitrine de sa réussite - avec sa maison, son équipage et tout ce qu'il possède de clinquant et coûteux. Le couple représente donc parfaitement ce qu'il y a de pourri aux yeux de Zola dans la haute société. Mais c'est tout de même Renée le personnage le plus intéressant, car au fond, sorties, robes et amants ne lui servent qu'à essayer de combler un manque sur lequel elle n’arrive pas à mettre le doigt. Si Aristide sait clairement ce qu'il veut, elle s'égare dans un mode de vie sans but.


Et comme le projet de Zola tient autant de l'histoire sociale que de la tragédie antique, on reconnaîtra ici sans peine le modèle de Renée : Phèdre. La passion va naître en elle pour le fils d'Aristide, Maxime, et tout un réseau de motifs vont jalonner cette histoire d'inceste. La serre qu'abrite la maison où vit la famille va remarquablement symboliser la déchéance, la déliquescence, la dégénérescence dans laquelle va se perdre Renée - j'ai souvent pensé que Zola flirtait allégrement avec le symbolisme, il me semble qu'on en trouve ici un exemple assez frappant. Les plantes exotiques, leur aspect, l'odeur qui se dégage de la serre : tout est mélange de suavité et de pourriture, ce qui donne d'ailleurs lieu à de très beaux morceaux d'écriture. L'autre motif omniprésent, c'est celui de l'inversion des sexes : quand Maxime développe des traits et des attitudes qu'on attribue au féminin, Renée se conduit en homme - autant qu'en félin. Maxime est le premier personnage de ce type, quasi androgyne, mais on en retrouvera d'autres, régulièrement, tout au long des Rougon-Macquart. Maxime porte aussi en lui, physiquement, la dégénérescence de toute une famille et de toute une société, comme la porte également Louise, sa fiancée, avec sa maladie (comme avant elle la mère de Silvère Mouret, et après elle Geneviève Baudu - entre autres). Chez Zola, rien n'est dû au hasard et il reprend sans cesse les mêmes motifs pour tisser sa longue toile.


Bon. Si je suis loin d'être insensible aux thématiques et au symbolisme du roman (et j'espère l'avoir fait comprendre), à cette combinaison de la critique sociale (ô combien nécessaire) et des ressorts de la tragédie, j'ai quelques réserves sur le style. Autant j'aime ces envolées lyriques permanentes, dont je parlais plus haut, dans Nana, autant je les trouve ici un peu lourdes parce que très répétitives. Au bout d'un moment, on finit par se dire : "Oui, d'accord, on a compris que Renée se comportait en homme et Maxime en femme, c'est peut-être pas la peine de l'écrire, avec moult métaphores, une énième fois..." Cela dit, c'est aussi ce qui fait la signature de Zola, et ce qui peut déranger les uns fait le bonheur des autres ; et ce que j'appelle de la lourdeur, d'autres le qualifieront, par exemple, de baroque. Toujours est-il qu'avec Zola, on sait où l'on va : il a un message à faire passer, il s'est fait une mission de dénoncer les dérives du Second Empire et il est hors de question que le lecteur passe à côté. Il est donc toujours intéressant de le lire, ne serait-ce que pour sa vision de l'Histoire, pour son engagement politique, pour sa critique de la société. Mais aussi parce qu'il y a encore et bien plus que ça dans les Rougon-Macquart, ce qu’illustre fort bien La curée.

Cthulie-la-Mignonne
7

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le 25 oct. 2017

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