Mon premier livre de Finkielkraut. Sympathique mais sans plus, on appréciera le positionnement critique de l'auteur déjà pas mal en avance sur des sujets aujourd'hui abordés 24h/24h dans les journaux, magazines et/ou émissions culturelles. En cela, Finkielkraut reste non seulement fidèle à sa pensée depuis des années mais fait montre d'une véritable clairvoyance en 1987 où la pensée conservatrice était à cette époque bien mise à mal. L'essayiste tâche de nous montrer comment le processus d'acculturation du monde fonctionne en prenant pour exemple premier le Volksgeist allemand (l'exaltation de l'identité allemande au XIXe siècle) en passant par la fin des nations en tant qu'unité de peuplement et de culture jusqu'au multiculturalisme de masse qui entend détourner le sens même du mot "culture". Il y présente les contradictions et le danger lorsque des milliards d'humains s'abandonnent aux délices de la consommation joliment enrubanné sous le mot de culture.
Le livre est intéressant sur plusieurs aspects notamment sur la question de l'identité nationale. Est-elle fictive ? Est-ce un fantasme de conservateurs mal dans sa peau ? Pour l'auteur absolument pas, la nation nous imprègne dès la naissance, on ne choisit pas sa culture, on l'assimile instantanément et tout au long de sa vie. La société ne naît pas de l'homme, c'est lui qui naît dans une société déjà donnée. En cela les révolutionnaires et leur fameux droits de l'homme (mais qui est l'homme ? d'où vient-il ? pourquoi et comment ?) plaquent des principes généraux sur une situation particulière. Ils trahissent l'identité nationale au profit d'un rêve d'une entité purement imaginaire : l'homme. Pour eux l’humanité doit se décliner au pluriel et elle n’est rien d’autre que la somme des particularismes qui peuplent la terre. Selon Herder « les nations ont une âme générale et une véritable unité morale qui les constitue ce qu’elles sont. Cette unité est surtout annoncée par la langue ». Pour Herder, les préjugés, la culture, sont le trésor culturel de chaque peuple. Les Lumières, se sont acharnés contre ces vestiges. Résultat : ils ont arraché l’homme à leur culture, convaincus d’émanciper les esprits ils les ont déraciné. À Descartes, ils répondent « je pense donc je suis de quelque part ». Finkielkraut, loin de faire du populisme bas de gamme et en s'appuyant sur Fustel de Coulanges, nuance le propos en prenant l'exemple des alsaciens durant la première guerre mondiale. C'est le concours volontaire des individus qui forme les nations :



Ce qui distingue les nations n'est ni la race ni la langue [...] la patrie c'est ce que l'on aime."



L'auteur ensuite consacre plusieurs chapitres sur le monde désoccidentalisé, l'éthnocentrisme en s'appuyant sur Levi-Strauss ou Bourdieu dans Race et Culture etc. dont voici un extrait absolument ravissant qui ferait bondir bon nombre de personnes si ce discours était prononcé aujourd'hui sur un plateau télé. Il s'agit de l'introduction du discours de l'anthropologue Lévi-Strauss en 1971 lors d'une conférence pendant l'année internationale de lutte contre le racisme à l'Unesco, rien que ça, qui avait fait scandale :



Ce sont les formes de culture qu'adoptent ici ou là les hommes, leurs façons de vivre telles qu'elles ont prévalu dans le passé ou prévalent encore dans le présent, qui déterminent dans une très large mesure, le rythme de leur évolution biologique et son orientation. Loin qu'il faille se demander si la culture est ou non fonction de la race, nous découvrons que la race - ou ce que l'on entend généralement par ce terme - est une fonction parmi d'autres de la culture.



Monsieur Lévi-Strauss rend ainsi sa légitimité partielle au concept de race ! C'est comme réintroduire le loup dans la bergerie.
Autre argumentaire bien senti dans le chapitre intitulé "Une paire de bottes vaut Shakespeare", c'est la critique du multiculturalisme facile et passif :



Les héritiers du tiers-mondisme aime pouvoir passer sans obstacle d'un restaurant chinois à un club antillais, du couscous au cassoulet, du jogging à la religion, ou de la littérature au deltaplane.



On est dans une logique d'amusement éternel, de consommation évidente et passive toujours sous le prétexte de culture et de diversité :



S'éclater et le mot d'ordre de ce nouvel hédonisme qui rejette aussi bien la nostalgie que l'auto-accusation. [...] Multiculturel signifiant pour eux abondamment garni, ce ne sont pas les cultures en tant que telles qu'ils apprécient, mais leur version édulcorée, la part d'elles-mêmes qu'ils peuvent tester, savourer et jeter après usage. Consommateurs et non conservateurs des traditions existantes, c'est le client-roi en eux qui trépigne devant les entraves mises au règne de la diversité par des idéologies vétustes et rigides.



Malgré quelques passages plutôt convaincant et une plume superbe qui vaut bien, 20 ans plus tard, un siège à l'Académie, Finkielkraut n'est pas assez incisif à mon goût. Il donne constamment du crédit à la contradiction en présentant longuement et systématiquement les thèses adverses avant d’asséner les siennes en quelques lignes. C'est fastidieux et casse le rythme de sa pensée. La défaite de la pensée reste un ouvrage sympathique mais qui ne m'a pas marqué outre mesure.

silaxe
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le 28 mai 2016

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