Publié sur L'Homme qui lit :
J’ai déjà sûrement évoqué le plaisir que j’ai à lire des romans ou des essais concernant la seconde guerre mondiale, l’occupation française et le régime nazi, sans fascination morbide, mais avec une curiosité chaque fois renouvelée, comme incapable de croire que « nous ayons pu faire ça ». C’est ainsi que cette dernière rentrée littéraire m’a proposé L’ordre du jour, déception personnelle mais prix Goncourt 2017, et La Disparition de Josef Mengele, lauréat du prix Renaudot.
Mengele était un médecin allemand, officier de la SS servant une cause macabre dans les camps de concentration, et plus particulièrement à Auschwitz où il fût responsable du tri des déportés arrivant par wagons entiers, qu’il envoyait sans scrupules se faire gazer par centaines, et où il réalisait également d’effroyables expériences médicales dont on frissonne encore aujourd’hui, tant la cruauté et la perversité qu’elles demandaient sont incompatibles avec le progrès médical.
En 1945, lorsque l’Armée Rouge libère Auschwitz, il a déjà pris la fuite vers l’Ouest où les américains l’arrêtent, mais dans le chaos de la Libération, le laissent filer ne sachant pas qu’il était un criminel de guerre. C’est avec de faux papiers qu’il vivra quelques années en Allemagne, avant de prendre la fuite vers l’Amérique latine, aidé par un réseau d’anciens nazis spécialisé dans l’exfiltration d’anciens dignitaires et hauts gradés.
Le récit romancé d’Olivier Guez débute avec l’arrivée en 1949 de Mengele à Buenos Aires, en Argentine, où sous une fausse identité il travaille comme charpentier et loge dans une pension familiale, avant de rapidement se mettre en rapports avec d’anciens nazis arrivés avant lui, lui permettant de s’installer chez des amis dans une immense demeure. Commencera alors pour Mengele une période faste, celle d’un homme libre, qui se fait de l’argent en devenant commercial pour l’entreprise familiale d’engins agricoles, tout en échappant à tout travail d’enquête qui le vise.
Cela semble incroyable et pourtant, c’est avec sa véritable identité qu’il demande un passeport allemand et réussit même à se rendre en Allemagne pour voir son fils auprès de qui il prétend être un oncle, épousant même sa belle-sœur et la faisant s’installer en Argentine. Il mène alors, comme choisira l’auteur comme titre pour la première partie de ce roman, une vie de pacha.
Dans la seconde partie du récit, Le rat, la fuite tranquille de Mengele est mise à mal. Traqué par des chasseurs de nazis, qui obtiennent des autorités allemandes un mandat d’arrêt international, Mengele doit faire profil bas, et n’est plus bien vu en Argentine. Dans la même période, les services de renseignements israéliens, le Mossad, s’occupent de kidnapper et ramener en Israël le nazi Adolf Eichmann afin qu’il soit jugé et condamné à mort.
Pour Mengele, c’est de nouveau l’exil, au Brésil cette fois. Ses soutiens se font rares, et l’argent que sa famille lui accorde discrètement vient moins facilement depuis que les autorités enquêtent plus sérieusement. Dans cette seconde partie, Mengele ne mène plus une existence flamboyante, mais il se terre, et se cache dans une ferme avec un couple avec qui il entretient des rapports conflictuels. Malade, en déclin, l’homme finira par vivre comme un rat, fardeau pour tous ceux qui jusque là le supportaient par sympathie, ou par appât du gain.
Olivier Guez nous offre un récit fascinant, un travail extrêmement documenté, une enquête historique sous forme de roman qui méritait amplement le prix Renaudot. Si je connaissais les grandes lignes de la fuite de Mengele en Amérique latine, je n’avais jamais eu connaissance de tous ces détails, des complicités des régimes locaux, de la mauvaise volonté des autorités allemandes pour enquêter, des difficultés du Mossad pour poursuivre leur inéluctable vengeance. C’est un récit difficile, car à distance de ses crimes on pourrait être tenté de trouver Mengele sympathique dans sa nouvelle vie, quasiment ordinaire. Un roman à lire, si ce n’est pas encore fait.