Bon, voilà. Bourdieu et moi, c'est une vieille histoire de rendez-vous manqué. Croisé sous formes d'extraits de textes plus ou moins longs lors de mes études, sa pensée m'avait toujours parue très intéressante, et les vidéos que j'ai pu voir de lui depuis lors n'avaient fait que me renforcer dans l'idée qu'il allait falloir s'y mettre.
Et puis bon, avec le taf vient le temps du "j'ai pas le temps", qui plus prosaïquement correspond à un temps qu'on ne prend pas ou plus pour les lectures "sérieuses".
Et un beau jour, au détour des rayonnages d'une bibliothèque (bon, celle où je bosse, soyons franc), on recroise Bourdieu et on se dit : "Allez, saute le pas !". Dont acte.
Bien que le gros de ce que j'avais pu lire de lui soit tiré de Les Héritiers, j'ai préféré pour un premier contact me tourner vers un ouvrage plus modeste en terme de taille : La domination masculine.
L'ambition de ce court ouvrage n'est autre, à travers l'étude du cas pratique de la société berbère de kabylie, que de déterminer comment la domination masculine (du masculin sur le féminin), s'est construite et installée durablement jusque dans nos sociétés modernes.
Je peux faire le même reproche à Bourdieu que ceux que je fais en général aux universitaires : un langage tellement spécialisé qu'il en devient parfois abscons. Toutefois, comparé à certain(e)s de ces estimé(e)s collègues, je le trouve plus aisé à suivre (mais j'ai pas dit non plus que c'était facile).
Pour ce qui est du contenu, il est intéressant de remonter et même de démonter les mécanismes qui ont mené à cette domination masculine. Comme on peut s'y attendre avec une approche Ethnologico-sociologique, de nombreux éléments sont mis en avant pour expliquer ce phénomène social : éducation familiale et religieuse, reproduction sociétale et sociale, psychologie, poids des traditions érigées en bornes infranchissables...
Il constate également que contrairement à ce qu'on pourrait penser, cette domination peut non seulement être entretenue par certaines femmes, mais aussi subie par les hommes eux-mêmes qui se contraignent (certains d'entre eux du moins) à coller au modèle "macho macho-man" véhiculé par le modèle dominant.
De même, il critique certains modèles féminins "émancipées" (ce ne sont pas ses mots, mais je fais ce que je peux)qui peuvent contribuer à entretenir cette domination. Il cite notamment les journalistes de la presse féminine.
Paradoxalement, Bourdieu ne cite presque aucune étude écrite par des féministes, et on sent même par moment une certaine condescendance à leur égard (car il en cite quelques-unes quand même). Après, ce n'est que mon ressenti en le lisant vu que je ne vais évidemment pas juger la qualité de ces études, ne les ayant pour le coup, pas lue.
L'ouvrage n'est donc en soi pas inintéressant, démontrant quelques lignes de forces et quelques mécaniques de domination fort intéressantes, mais paraît laisser de côté une part importante de la recherche dans ce domaine au titre de l'absence de neutralité des féministes dans la critique de la domination masculine.
Cela sonne un peu prétentieux quand on songe qu'avec ce genre d'arguments, on pourrait tout aussi bien lui objecter son genre (et donc son rôle de dominant) pour lui dénier la possibilité d'un regard objectif sur la domination masculine.
Cella étant, sa bonne volonté semble évidente, et je ne sais si ce bémol est à imputer à de la maladresse ou à quelques solides inimités qu'il aurait entretenu avec certaines de ses collègues...
Si quelqu'un à une idée de la réponse à cette question, je suis preneur.