Il s'agit d'un recueil de textes que Duras avait écrits isolément entre les années 1950 et 1985, et qu'elle retouche pour les publier sous la forme d'un tout. Leur point commun est de parler de la fin du nazisme en France de bien des aspects différents. Certains textes se présentent comme faussement autobiographiques, d'autres non.
La douleur est la pièce maîtresse de l'ouvrage, même si chronologiquement ce n'est pas le texte principal, mais l'on comprend fort bien pourquoi il ouvre le recueil. C'est une nouvelle en deux parties, qui se présente sous la forme d'un journal que Duras aurait trouvé dans ses archives mais dont elle ne se souvient pas l'avoir écrit. Il parle du retour de Robert Antelme des camps de concentration. Il se décompose en deux parties : la première suit Duras à Paris. Impliquée dans la résistance, elle campe au lieu de retour des déportés dans l'espoir de voir Antelme, mais finit par jeter l'éponge tant elle ne vit plus, s'attendant chaque jour à avoir confirmation de sa mort. C'est une tentative de transcription littéraire de la torture que crée cette incertitude. La seconde partie concerne le rétablissement d'Antelme à son retour de Dachau. Le fait qu'elle ne parvient plus à le reconnaître, tant il a maigri. Son incapacité à communiquer tant il est faible, la difficulté de le nourrir, ses sept chiasses par jour. Puis, après deux semaines, quelques signes d'amélioration. La nouvelle se clôt sur une scène de plage. A noter une critique du gaullisme très frontale. C'est un texte à mettre évidemment en parallèle avec L'espèce humaine, qui rapporte les mois de détention d'Antelme à Buchenwald, Gandersheim, puis l'odyssée finale jusqu'à Dachau.
Monsieur X, dit ici Pierre Rabier se passe chronologiquement avant. Après l'incarcération d'Antelme, Duras assiège un collaborateur chargé d'arrêter les résistants. Il la voit souvent, la draguant éhontément, lui faisant miroiter une possible libération si jamais elle lui donne des informations sur les résistants (François Mitterrand est cité). Mais avec la libération qui approche, le rapport entre chasseur et chassé s'inverse progressivement. Elle témoignera même à son procès, à la fois pour le charger et bizarrement pour le défendre. C'est une étude de caractère qui essaie de se mettre dans l'univers d'un collaborateur cultivé qui fait son métier sans état d'âme.
Albert des capitales se revendique au contraire comme une fiction, mais Duras exprime en incipit qu'elle se projète dans le personnage de Thérèse. Cette courte nouvelle se passe dans Paris libéré. On amène un ancien indicateur de la Gestapo, un homme ventru de cinquante ans. On a retrouvé un carnet lui appartenant où il y a la mention "Albert des capitales", qui donne son nom à la nouvelle mais n'est qu'un macGuffin. On "interroge" l'indicateur, avec une violence croissante pour l'humilier et lui faire avouer ce qu'il a fait (on lui demande la couleur de sa carte pour entrer à la Kommandatur). Certains quittent la scène, dégoutés, d'autres sont pris dans la contamination de la violence.
Ter le milicien, un peu comme "Pierre Rabier", est une étude de caractère concernant un très jeune membre de la Milice, groupe fasciste français adjuvant de la Gestapo. C'est un jeune homme qui s'attend à être fusillé et reconnaît sans états d'âme ses crimes. D. (un camarade résistant mentionné dans chaque nouvelle) et Thérèse l'escortent en attendant son jugement. C'est un gamin assez superficiel et insouciant, qui a rejoint la Milice du fait de son amour pour l'action, les armes, les bagnoles, sans réfléchir à l'idéologie derrière. Misère intellectuelle.
L'ortie brisée se passe aux abords de Paris alors que la Libération a lieu. Deux hommes sont assis au bord d'un chemin, avec un enfant qui joue entre eux. Ils ne se connaissent pas. L'un est ouvrier. L'autre est mystérieux mais a l'air d'aller mal : un collaborateur en cavale ? Il y a des allusions au fait qu'il est en train de mourir aux yeux de l'enfant, mais la seule action qui le caractérise, c'est qu'il cueille une ortie et se pique, faute de savoir les reconnaître. Tout cela a l'air lourdement symbolique mais ne me parle pas. un texte qui sent un peu trop le Nouveau roman à mon goût.
Aurelia Paris est également un texte fort cryptique, qui m'a laissé de marbre. Une fillette et une mère sont dans une tour en béton. Il y a des échos de la guerre, on voit passer des avions bombardiers. Il y a un chat, qui mange un papillon. Tout cela est trop cérébral pour moi.
Les premières oeuvres me font penser aux nouvelles de Sartre : c'est nerveux, cela va droit au but. Les dernières, beaucoup trop soucieuses d'obliger le lecteur à réfléchir pour découvrir de quoi il est vraiment question, ont quelque chose de décourageant. Ce n'est même pas une oeuvre qui distille une ambiance que l'on peut saisir sans la comprendre vraiment : il faut la clé de compréhension, sinon c'est inutile. Et j'ai la flemme de chercher. Cela me semble aller contre le but recherché.