Le Corbeau vient un soir frapper à la porte. Le père l’accueille. Les deux fils dorment. Et la mère vient de mourir. Le Corbeau s’immisce, conseille, apaise, se moque, parasite. L'oiseau n’est pas là pour aider à faire le deuil, il accompagne le désespoir, apprend à chacun qu’il faut continuer à vivre. Il est protéiforme, à la fois « charognard et philosophe », insupportable et indispensable.
Le texte fait alterner les voix des personnages en courts paragraphes : Papa, Corbeau, Les garçons. Monologues, dialogues, contes, listes, invectives, la narration chaotique retranscrit à merveille l’état émotionnel fluctuant provoquée par la souffrance. De prime abord, la forme est déstabilisante. Mais au final, les passages incongrues, le comportement trivial du corbeau, les anecdotes légères, les séquences poignantes s’enchaînent et forment un tout cohérent. Le cheminement de la douleur apparaît fluctuant, avec ses moments d’apaisement et ceux où le manque devient trop fort : « Elle n’utilisera plus jamais son maquillage / Elle ne terminera jamais son roman de Patricia Highsmith / Et je n’irai plus lui dénicher des livres pour son anniversaire / J’arrêterai de trouver ses cheveux / J’arrêterai de l’entendre respirer ».
Il y a dans ce premier roman quelque chose d’aérien, de léger, de totalement libre. De l’éparpillement naît la profondeur, des silences montent la gravité. Max Porter a su trouver les mots pour dire la perte, l’absence, en insufflant à sa prose une vitalité qui pousse ses personnages à aller de l’avant. Sans pour autant tourner la page. Car au cœur de tous les échanges demeure la disparue. Son ombre nimbe chacun d’une présence que le temps n’effacera jamais. Mais avec l’aide de Corbeau, la tristesse va prendre son envol et s’éloigner doucement comme, à la dernière page, ces cendres emportées par le vent au dessus de la mer tandis que les garçons crient « JE T’AIME JE T’AIME JE T’AIME ».