Plantons rapidement le décor pour pouvoir ensuite parler de l’essentiel : tout débute par l’évocation d’un épisode traumatique vécue, dans sa jeunesse, par Amaia Salazar, à la fois héroïne de cette histoire et policière bénéficiant d’une intuition digne des plus grands enquêteurs. Entre parenthèses, ce point est intéressant, car par la suite le récit ne cessera de glisser des éléments de sa biographie dans le développement de son intrigue principale, expliquant ainsi sa psychologie, mais nous offrant aussi une narration secondaire tout aussi angoissante. Je me dois également de préciser ici qu’Amaia apparaît dans les romans précédents de Dolores Redondo formant la trilogie du Baztàn. J’ai donc commis l’erreur de commencer par le dernier, et je vais m’attacher à la corriger très vite, mais je dois aussitôt la relativiser, car ma lecture de « La face nord du cœur » n’en a pas du tout pâti, ce livre se suffisant largement à lui-même et pouvant ainsi très bien être défloré de manière indépendante.
Mais cessons ces digressions pour revenir à notre sujet, le nœud du récit qui se constitue dès l’entame avec le massacre d’une famille en marge d’une petite ville de l’Oklahoma, juste après le passage d’une tornade, en 2005. À peine remis, nous basculons à Quantico, à l’académie du FBI, où notre policière espagnole au pedigree impeccable suit une formation avec d’autres collègues européens. Très rapidement, Amaia Salazar va être débauchée par l’agent Dupree pour participer, avec son équipe, à la traque du « Compositeur », surnom donné au tueur qui profite du chaos provoqué par des catastrophes naturelles pour perpétrer et cacher des crimes ritualisés touchant chaque fois des familles de composition identique. Et comme au même moment, dans le golfe du Mexique, l’ouragan Katrina ne cesse de forcir en approchant de La Nouvelle-Orléans, tout ce petit monde se retrouvera bientôt au cœur de l’apocalypse. Voilà de quoi concocter une histoire d’enfer, non ? Bon, si après ça vous restez de marbre, vous pouvez vous dispenser de la suite…
Vous êtes toujours là ? Alors parlons maintenant du genre, car il vaut le détour. Classique sur de nombreux aspects, ce roman policier se risque parfois à flirter avec le fantastique en intégrant des manifestations occultes. Localisée sur deux continents, dans le Pays basque espagnol comme en Louisiane, son intrigue croisée parvient à lier la sorcellerie issue du folklore de la vallée du Baztàn avec le Vaudou hérité des légendes cajuns. Si mon intérêt se porte d’habitude sur des histoires plus réalistes, je dois bien admettre que ce récit fonctionne à merveille parce qu’il est traité avec sérieux. On sent bien que Dolores Redondo a fourni un important effort de documentation, y compris sur ces thèmes paranormaux. Loin de la desservir, ces derniers exacerbent la tension déjà propulsée vers les cimes par le simple déroulement de l’enquête et le chaos provoqué par Katrina. En cela, j’ai retrouvé dans ce roman l’ambiance angoissante éprouvée pendant le visionnage de la série Outsiders tirée du livre éponyme de Stephen King (que je n’ai toujours pas lu, sacrilège ! Mais je vais me rattraper !), ce qui, pour moi, n’est pas un mince compliment… En remettant ma casquette d’auteur, je confesse bien volontiers que j’aime aussi sortir du carcan imposé par les genres établis, mais pour ma part il s’agit le plus souvent de mêler les codes de la littérature policière à ceux de l’anticipation (à mon sens, très propices à l’évocation des grands enjeux de notre temps). Je peux donc mesurer les risques pris par Dolores Redondo quand elle fait de même avec le fantastique, car certains lecteurs n’apprécient pas de voir exploser leurs repères. Voilà pourquoi je me permets de rassurer les plus sceptiques : je suis certain que les qualités de ce livre parviendront facilement à emporter votre intérêt. En tout cas, c’est ce qui s’est passé pour moi à un point tel que mon clavier me somme à présent d’explorer également cette voie…
OK, cette chronique ne fait pas dans la concision, je l’admets, mais c’est que j’ai beaucoup à dire et c’est plutôt bon signe. Donc, si vous ne vous êtes pas déjà précipités chez votre libraire, je me propose de vous présenter les deux personnages principaux et vous laisserai le soin de découvrir les autres… Au début de récit, j’ai beaucoup aimé le tandem d’enquêteurs composé par la jeune inspectrice surdouée et l’agent Dupree beaucoup plus expérimenté. D’accord, ce genre d’association n’est pas nouvelle… Elle a même accédé à la postérité avec « Le silence des agneaux » de Thomas Harris (entre Clarice Starling et Jack Crawford, le directeur des sciences du comportement du FBI) et il est évident que Dolores Redondo s’en est inspiré, mais je trouve que son livre rend bien hommage à son illustre prédécesseur. Alors, pourquoi se passer d’une madeleine quand l’occasion se présente ? Un point de plus pour elle !
Avant de conclure (non, non, je ne plaisante pas : j’ai encore besoin de m’exprimer ! Quoi ? Je n’ai qu’à écrire un roman ? D’accord, je vais y penser…), je ne peux me dispenser de parler du cadre principal de cette fiction : La Nouvelle-Orléans pendant l’ouragan Katrina. Idée géniale que d’avoir choisi à la fois ce lieu et cet évènement pour planter le décor d’une intrigue policière. Ça fonctionne à merveille, la tension de la catastrophe devenant exponentielle quand elle se superpose à celle de la traque du tueur en série (j’ai calculé : f [x] = 3x [2x+3]). Je n’ai donc pas été surpris d’apprendre que l’auteure a passé du temps dans cette ville pendant l’écriture tant elle réussit à prendre son pouls, à décrire ses traditions, sa géographie et son histoire, tout ça en maintenant le rythme haletant de sa narration et en évitant toute lourdeur (d’accord, d’accord, je devrais m’en inspirer…). Elle s’est également très bien renseignée sur Katrina et est parvenue à respecter la temporalité de son déroulement et celle de ses conséquences dramatiques. La dévastation donne un air de fin de monde au récit, sentiment exacerbé par l’intégration de petites touches fantastiques liées au culte vaudou. Aux moments les plus intenses, quand le décor finit par composer un tableau entremêlant des destructions charriant des légions de morts et de survivants égarés, voire parfois un mélange des deux tant les frontières deviennent floues entre la réalité et le surnaturel, ce roman peut même évoquer une œuvre comme Walking Dead, pourtant fort différentes et développées plutôt en BD comme en séries (là, je pousse un peu, je l’admets, mais quand même, certains passages m’ont bien fait flipper !).
Bon, si vous avez eu la patience de rester avec moi jusqu’ici, c’est que j’ai bien réussi à susciter votre intérêt, non ? Alors pas d’hésitation, foncez-vous procurer « La face nord du cœur » ! Une occasion unique de grimper en solo intégral (oui, c’est quand on n’est pas assurés) une des parois les plus angoissantes de la littérature contemporaine !