La belle-fille fatale

Après le beau succès, amplement mérité, de L'eau rouge, il était attendu qu'un autre livre de Jura Jurica Pavičić soit traduit en français. Et les (excellentes) éditions Agullo ont choisi son précédent, publié en 2015 en Croatie. La femme du deuxième étage n'est en rien un roman policier, même si son héroïne, Bruna, a tué sa belle-mère par empoisonnement et purge sa peine en prison. Ironiquement, elle y cuisine pour ses codétenues, elle qui a occis par ce biais, à petit feu, la mère de son marin de mari. En alternance, le récit va remonter peu à peu sa vie antérieure et ce qui l'a conduit à ce geste. Roman psychologique, donc, noir et désabusé, mais dans une sorte de sérénité, comme s'il y avait une logique implacable au cours des événements. Cependant, parfois le livre, ou plutôt l'esprit de Bruna, vagabonde et s'imagine un destin autre, puisqu'il aurait suffi qu'elle ne se rende pas à la soirée où elle a rencontré son futur mari et par conséquent malheur L'auteur est d'ailleurs très doué pour nous faire sentir que nos vies sont liées aux coups du hasard. Plus loin, dans le livre, il prête à Bruna d'autres pensées : l'existence qu'elle aurait eu si elle n'avait pas commis l'irréparable. Jurica Pavičić est un pessimiste et un mélancolique, au fond, qui se moque à plusieurs reprises des ambitions humaines, si pathétiques qu'elles retombent souvent comme un soufflé. Comme dans L'eau rouge, il évoque aussi en filigrane, avec une certaine amertume, l'évolution de son pays, passé à l'économie de marché après la guerre et vendu corps et âme au tourisme, à l'image de sa ville natale de Split. Cette histoire de "belle-fille fatale", comme les autres surnomment Bruna, est d'un intérêt soutenu, de par le style fluide de l'auteur et de la personnalité de son héroïne, qui reste énigmatique. Le livre n'atteint pas les sommets de L'eau rouge, c'était quasiment impossible, mais témoigne du talent incontestable de conteur de Pavičić, en attendant les traductions de ses 5 autres romans inédits ou, pourquoi pas, de ses recueils de nouvelles, tant il semble évident qu'il puisse également exceller sur un format court.