"À Bacharach il y avait une sorcière blonde
Qui laissait mourir d'amour tous les hommes à la ronde
Devant son tribunal l'évêque la fit citer
D'avance il l'absolvit à cause de sa beauté
Ô belle Loreley aux yeux pleins de pierreries
De quel magicien tiens-tu ta sorcelerie?"
(La Loreley, dans "Alcools" de Guillaume Apollinaire)
Si la tiédeur s'accommode de la durée, rare est la passion au long cours, dit-on.
Pierre Louÿs dément magistralement ce principe commun.
Comme nombre d'auteurs, il se réfère au mythe de la passion amoureuse destructrice avec ses personnages mû par l'orgueil, la jalousie et l'exclusivisme, unis dans un lien de mort tels Tristan et Iseult, la marquise de Merteuil et le vicomte de Valmont, Heathcliff et Catherine, Ariane et Solal, et je citerai même Aschenbach et Tadzio.
Non, Mateo et Concha attisent les braises à l'infini, narguant l'amour. Narguant la mort.
Car soudain tout devient fade, accessoire, pesant.
Dévorante et brûlante, la passion amoureuse qui saisit Mateo bouscule sur son passage toutes les convenances et conventions, dépasse tout raisonnable.
Cependant, l'amour s'entend-il d'une quelconque maîtrise?
Dans l'impuissance de ses sentiments, il tente de séduire Concha par l'argent. Se dérobant à lui sans cesse, il subit sans broncher humiliations et ruine. Seule la culpabilité de sa démarche tiraille sa conscience.
La perpétuelle quête de l'amour a ses chemins de perdition. Ils se prennent de nuit et l'on y croise ces amants serviles s'avançant comme poussé par un fulgurant et irrépressible besoin d'anéantissement, dans une aspiration commune à se laisser consumer dans un brasier nourri d'angoisses et de désir .
La violence de leurs sentiments ne trouvera de réponses que dans l'agression physique.
Ennemis mais complices dans la cruauté, duos pervers et victimes consentantes aux tortures psychologiques, leurs âmes deviennent les champs de bataille d'une sombre et singulière lutte contre eux-même.
À la manière des tragédiens antiques, Pierre Louÿs saisit avec intelligence la psychologie complexe de ses personnages, mettant en lumière leurs motivations obscures dans un style raffiné et élégant mais loin de tout romantisme édulcorant et cache-sexe ou d'une littérature pseudo-érotique sur fond de sado-masochisme.
Un chef-d'oeuvre court mais brûlant.
Un grand merci à Aurea qui m'a fait découvrir ce livre que je ne peux que vous conseiller à mon tour.