Est-ce qu'un livre perd en qualité parce qu'il reflète les mœurs de son époque qui sont aux antipodes des mœurs d'aujourd'hui ? La réponse est non, mais ça ne semble pas être une évidence générale. Parce que oui, concernant La Ferme africaine j'ai lu de nombreux avis un peu partout qui mettent en avant le ton paternaliste et raciste de Karen Blixen, sans que jamais l'œuvre soit remise dans son contexte. Et c'est dommage et ce n'est pas Milan Kundera qui me donnerait tort.
Alors oui, ce livre c'est la vision d'une colon blanche, Karen Blixen, sur le continent africain et ses peuples autochtones. Mais il serait dommage de s'arrêter là sans parler de la valeur esthétique réelle qui se dégage de cette longue suite de souvenirs de ses années passées sur ce continent qu'elle a sincèrement aimé. Un amour à la façon d'une colon mais un amour sincère quand même. Elle a aimé "ses gens", ces peuples "indigènes" qu'elle a soigné et qui l'ont fasciné. Elle a aimé partager avec eux. Elle parle d'eux avec tendresse. Une tendresse certes paternaliste mais incontestable. Et il serait malvenu de taxer La Ferme africaine d'œuvre raciste alors qu'elle n'est que le produit de son époque. Karen Blixen n'était pas raciste, elle appartenait seulement à son époque, à un système qui ne lui semblait pas horrible, et à de très nombreuses occasions elle montre aussi de la compassion pour les Noirs face aux occidentaux.
Nous paraîtrons probablement au moins aussi horribles aux générations qui nous suivrons. Et il serait tout aussi injuste de nous blâmer pour ce que nous sommes sans réellement le savoir, simplement parce qu'on n'a pas eu le recul qu'offre le temps pour nous regarder et nous juger, pour ne pas avoir anticiper des changements de mœurs, chose impossible.
S'arrêter à des questions morales concernant une œuvre c'est passer à côté d'une potentielle expérience esthétique enrichissante. Et ici, c'est passer à côté de longues descriptions de paysages, de traditions africaines, de rencontres marquantes.
Ne soyez pas des misomuses et laissez une chances aux œuvres de toutes les époques.