Je viens de refermer ce livre.
Que puis-je en penser ? La description de l'Afrique y est très visuelle, ce qui donne sa force au roman et donne vie à la ferme. On s'immerge doucement dans cet univers grâce à une gestion du temps non linéaire qui compose le tableau de la ferme africaine comme on construit un puzzle, d'abord les bords puis on remplit chromatiquement zone par zone. Ce livre est moins un récit qu'un tableau. L'action y est légère et toujours cantonnée au registre de l'anecdote. Le récit est à ce point de vue moderne et n'aurait pas dépareillé au 21ème siècle, bien calé entre le storytelling politique, les anecdotes/tranches de vie façon 9gag et le discours de Dakar.
Oui car venons en au fait! On pourrait caractériser l'écriture (et la personnalité de l'auteur) selon trois thèmes transversaux : le rapport aux africains, la présence de Dieu et les femmes.
Sur le premier point, on peut y lire l'opinion d'une femme libre, moderne et féministe de l'époque. Les africains ne sont pas comme nous, ce qui est normal pour eux ne l'est pas pour nous, il faut les dresser à faire ci à faire ça. On note tout de même de l'agacement bien huguenot devant des gens à qui on peut répéter 50 fois la même chose et qui continuent à poser la question, des gens qui négocient même quand il apparaît évident qu'une intervention de la propriétaire de la ferme de pourra rien changer (au moment de son départ). En somme, de grands enfants qui composent avec l'arrivée des propriétaires blancs comme on voit arriver des adultes dans la cour de l'école. Un roman progressiste pour l'époque mais foutrement condescendant. A vrai dire, la lecture à elle seule des premiers chapîtres de l'ouvrage consacrés à la description des indigènes n'appelle aucun commentaire supplémentaires de ma part, elle n'appelle ni commentaires ni sous-titres. Le rapport de L'héroïne à la terre y est sans équivoque.
Vient ensuite le chapître des religions. L'écrivain le confesse dès le début, elle a très vite adopté une sorte d'animisme local. La nature est déifiée, et elle s'y coule comme pour adopter le même schéma mental que la population qui l'entoure. Le destin devient le principal acteur qui se dresse face à elle : jamais autant d'admiration n'est témoignée qu'à l'encontre de ceux qui acceptent les aléas du destin avec une égalité sans faille. Les saisons qui passent, les animaux qui vont et viennent : tout se déroule dans un espèce de flot continu, liant les événements dans un mouvement et un renoncement à la recherche de la cause qu'un esprit aristotélicien aurait bien du mal à appréhender. Point de châtiment divin : quand quelque chose se passe, on s'assied et on négocie. On échange les vaches, la politique se pratique par la possession et l'expropriation : les accidents qui appellent dédommagement sont les vrais moments où les rapports de forces changent dans le village, et où les positions sociales évoluent. En fait c'est ça: ce livre c'est "La vie sans St Augustin". on est plongé dans un monde qui ne connait ni le monothéisme catholique et son incomparable propension à l'unification, ni la recherche de l'harmonie des Grecs anciens.
Ce qui m'a le plus touché est cette évocation du monde passé qui ne reviendra plus. Un tableau qui fait écho à un de mes livres préférés au héros duquel j'emprunte le patronyme, mais aussi à des films comme C.R.A.Z.Y. ou The tree of life dont l'histoire aborde ce thème. Dans un registre moins romanesque, L'homme révolté rejoint cette catégorie d'écrit : celle de l'accusation indirecte du présent. A l'inverse, un espèce de féminisme vengeur et implacable dans cette oeuvre et cela m'a beaucoup dérangé. Je ne me connais pas trop en épistémologie appliquée au féminisme pour vous dire si c'est de la première, deuxième ou troisième génération, chienne de garde, Simone de Beauvoir ou Femen mais cette mise en scène d'une femme qui dirige la ferme et par ce biais l'activité du village aurait du suffire dans le registre de la revanche.
Mais non, on a le droit à notre content de personnages masculins inactifs, parasites, désorientés (le vieux Knuth- qui est évoqué à deux endroits du livre de deux manières différentes-, des africains malheureux) OU ALORS des hommes bons et justes, mais voués à disparaître. Elle la bonne mère, la madone à la rose des vents garde le cap et maintient la gestion.
Je n'ai plus d'exemple précis mais au fil du roman sont distillées des petites remarques qui évoquent combien les choses marchent bien et les gens sont content de travailler pour elle depuis qu'elle a repris la ferme, combien son management féminin est bien reçu. Et souvent cette évocation s'accompagne d'un semblant d'explication se fondant sur ses observations des locaux. J'ai eu beaucoup de mal avec cette espèce d'immodestie de la narratrice dans la mise en scène de son univers, n'oubliant jamais de rappeler qu'elle occupe la première place. Peut-être existe-t-il un biais du à ma culture et aux valeurs que j'ai reçues, parmi lesquelles une humilité toute catholique.
J'ai cherché entre les lignes rigides et serrées comme apparemment les fesses de Karen Blixen une relation quelconque, de la passion voire (peuh!) du sexe mais pensez-vous ! Notre austère luthérienne n'est pas venue pour batifoler avec le tout venant. Rien de charnel dans ce livre, mais plutôt du minéral. Tiens il est pas mal ce mot, il résume bien l'héroïne. Une sorte de caillou inamovible qui s'érode avec le temps et finit par changer de place à force d'érosion.
Pour moi c'est une oeuvre qui ne mérite à être connue que "faute de mieux", parce que je n'en vois pas d'autre qui témoigne avec autant d'accessibilité pour un occidental d'une époque éventrée par la modernité comme une seconde colonisation. Pour le reste, c'est martine au pays des swahilis : insupportable.