Une anticipation naturelle (La fille automate)
« La fille automate » est le premier roman de l’américain Paolo Bacigalupi. C’est surtout le vainqueur du prix Hugo 2010 (ex-aeqo avec « The city & the city » de China Miéville), le plus prestigieux des prix littéraires de science-fiction américains, créé en 1953, et de son équivalent français, le Grand Prix de l'Imaginaire du meilleur roman étranger.
En dehors du fait qu’elle se déroule au 23ème siècle, la grande originalité de cette histoire est qu’elle se situe dans la ville de Bangkok. Passée sous le niveau de la mer suite au réchauffement climatique, la capitale thaïlandaise résiste, grâce aux digues qui l’entourent et à ses pompes, à la montée des eaux... mais elle doit aussi faire face au monopole calorique des grandes sociétés biotechnologiques occidentales, seules entreprises à proposer des semences résistantes aux dernières mutations de la rouille vésiculeuse, de la cibiscose et autres pestes génétiquement modifiées qui ont dévasté la nature telle que nous la connaissions pour plonger le monde dans la famine. L’adjectif calorique n’est pas de mon cru mais est issu du roman, car suite à la fin du pétrole et de ses guerres, la calorie est devenue l’unité de mesure principale : lles hommes ou les bêtes doivent désormais pédaler pour faire fonctionner leurs appareils…
Il serait dommage pour le futur lecteur d’en découvrir plus sur l’histoire de ce roman en lisant cet article. Décrire l’univers imaginé par Bacigalupi dans « La fille automate » serait aussi long que le roman lui-même – mais bien moins passionnant. Exposer au lecteur les règles de son univers a toujours été problématique pour les auteurs de science-fiction, le piège étant de rendre les scènes d’exposition aussi artificielles qu’inintéressantes à lire. Paolo Bacigalupi, lui, coupe court aux explications et plonge directement le lecteur dans l’intrigue du roman, une stratégie adoptée par bien d’autres auteurs avant lui – celui qui l’a le plus développé étant Vernor Vinge, autre lauréat de prix Hugo (il faut à peu près lire le tiers de ses romans avant de comprendre les actions des personnages et les néologismes de l’auteur).
Bangkok ne tient que grâce à un équilibre fort instable de multiples puissances, tant intérieures qu’extérieures. Dans cet état de crise permanente, l’histoire est vécue à travers les agissements des différents personnages, et s’accélèrera au fur et à mesure que le roman avance et que la menace ambiante du chaos ne se rapproche. Malgré son titre et sa couverture, Emmiko, l’automate du titre, n’est qu’un des personnages principaux du roman – même si c’est évidemment le plus intéressant.
Comme je le disais au début de cet article, l’une des originalités du roman tient dans son cadre asiatique – la culture, la manière de penser des personnages sont résolument non occidentaux, et jusqu’à la langue employée par l’auteur, puisque le texte est parsemé de termes issu de la langue thaïe. Pour une raison que j’ignore, la littérature de science-fiction est principalement anglo-saxonne, puis française – mais (presque) aucunement asiatique. Bien rares sont les auteurs à décrire un futur d’un point de vue autre que celui du monde occidental (l’exception la plus notable étant le britannique Ian McDonald). Dépaysante, haute en couleurs et très crédible, cette œuvre est impressionnante de maîtrise pour un premier roman, voire un roman tout court.
Avant la parution de « La fille automate », il n’y avait eu qu’un seul premier roman à avoir été récompensé par un prix Hugo : « Neuromancien », de William Gibson. Pas sûr toutefois que le roman de Paolo Bacigalupi ait autant d’importance que celui de Gibson : la plume de Bacigalupi n’est pas aussi révolutionnaire - il lui manque un peu de cette poésie qui font des grands romans des chefs-d’œuvre intemporels.