Quelque sept années se sont écoulées depuis la séparation de Léa et Chéri, dont quatre d’une longue guerre qui, terminée, autorise enfin à vivre, à entreprendre, bref à aller de l’avant.
Mais tel n’est pas l’état d’esprit de Chéri. Englué dans son mariage avec Esmée, il se situe aux antipodes de la moindre exaltation. A ses yeux nouvellement creusés et réticents, tout ce qui a trait à la mondanité est moralement et esthétiquement récusé. Au travers des attitudes, échanges et intrigues des gens qui l’entourent ne s’illustrent que l’hypocrisie et la vilénie des ambitions. Tout lui semble marqué du sceau de la fausseté, de l’inauthenticité. Cela étant, bien loin d’agir dans le sens opposé indiqué par cet esprit critique, il se laisse plutôt entraîner par un détachement général de reclus. Comment expliquer la détresse d’un jeune homme encore si beau ? Chéri n’est pas dupe et parvient à extraire le cœur de son spleen, deux grands yeux saphir détachés du fond rosé d’un visage ciselé à la peau fine et délicate : Léa ; mais deux grands yeux au sommet desquels trône désormais la grisaille de cheveux qui n’expriment plus que l’abdication, l’acceptation : Léa irrémédiablement vieillie. Cette représentation, loin de n’être qu’imaginée, s’est imposée à Chéri quand, une seule fois, il a revu Léa, sans retrouver celle qu’il aimait et qui le hante, sans parvenir à faire correspondre la voix mélodieuse, grave et inchangée au corps bouffi et saillant dans une toilette éteinte. Cette entrevue acte d’ailleurs et accélère la dépression de Chéri, qui se voit comme condamné à courir après les chimères d’un passé révolu. De plus en plus éloigné des choses et des gens, il se terre dans l’appartement d’une vieille copine dont le salon est un musée des photographies à l’honneur de Léa, où l’ancien protégé darde les images de coups d’œil qui sont autant d’hommages à l’idole révérée et détestée. Finalement, n’y tenant plus, Chéri en vient à se porter le coup fatal, répondant ainsi radicalement au coup du sort qui, parfois, pour le meilleur et pour le pire, place côte à côté une femme accomplie et d’âge mûr et un amant un peu trop jeune…