La chute de l'ange rebelle
Dans l'atmosphère feutrée du Salon Rouge de la maison Victor Hugo, place des Vosges, de lourds rideaux pourpres forment l'élégante toile de fond d'une petite scène carrée,où un fauteuil Voltaire vert céladon occupe presque tout l'espace, avec, derrière lui, un lampadaire en forme de boule. La disposition des chaises des spectateurs, comme blottis en arc de cercle devant cette petite scène crée immédiatement un sentiment d'intimité, de proximité très agréable. Le noir gagne la salle et la lumière fait apparaître la comédienne Christine Guênon. C'est elle qui a adapté ce long poème de Victor Hugo, se concentrant exclusivement sur la figure de Satan.Le texte s'en trouve resserré, forcément plus court que l'original, mais son adaptation fait de "La fin de Satan" un continuum, sans les "appartés" du texte originel, et donc plus compréhensible en spectacle.
Dans un premier temps, la comédienne se tait, scrute la salle d'un regard franc, provocant, altier puis commence à dire les premiers mots du poème. D'emblée, on est frappé par l'extraordinaire puissance de la voix, et par la parfaite diction, ce timbre vibrant qui donne un relief à chacun des mots, des vers de la chute de l'ange rebelle. Telle une conteuse, sa voix a le fabuleux pouvoir évocateur de nous faire croire que nous y sommes, dans ces ténèbres. Christine Guênon ne dit pas seulement le poème (de mémoire, soit dit en passant), elle l'incarne, véritablement, comme le faisait judicieusement remarquer Gérard Audinet lors de sa présentation du spectacle. Elle donne une rare densité à cette prière duelle à Dieu, encore amour et déjà haine, par ses modulations de voix, parfois cri, parfois murmure, par les respirations nécessaires que créent de longues répliques dites à voix forte. Les lumières accompagnent le spectacle avec subtilité par des changements imperceptibles ; le noir se fait à la fin d'une strophe et permet à la comédienne de changer de position sur le fauteuil, en fonction du texte, bien sûr. Cette représentation fut un enchantement, et laisse l'impression durable d'avoir assisté à un moment précieux et privilégié.