Une drôle de sensation, ce livre... L'impression inégale d'avoir lu à reculons.
Jeanne Korowa - juge d'instruction de 35 ans, protagoniste - m'a mise mal à l'aise, m'évoquant trop peu : un personnage à la fois cultivé et perspicace (trop, parfois), gauche et bourrin. Une courageuse claudicante. Sentimentalement désespérée (souvent). C'est ce qui aurait dû faire son humanité, sa part attendrissante, un peu comme chez tous les protagonistes de Grangé, d'ailleurs... mais je n'ai pas adhéré au portrait global, qui me l'a rendue opaque.
Je ne sais pas si Grangé a voulu faire "trop complexe", par souci de réalisme et d'analyse, ou si au contraire il a bâclé les traits caractériels et la psychologie de Jeanne, mais il verse cette fois dans la caricature : le Héros Anti-héros, tout too much.
Une autre frustration, plusieurs intrigues ou prémisses d'intrigue sous-jaçant la principale, qui se font avorter, non sans paresse :
- le traumatisme de Jeanne-enfant, qui scande son désir de s'approcher du tueur (et sans légitimité : elle ne sera jamais saisie de l'enquête), et qui fait directement écho à la forêt, sur rythme de jeu de cache-cache. 1...2...3...
On aurait pu espérer que le traumatisme soit plus exploité, mieux introduit, tant au final, un peu lésé, il n'apporte rien à l'intrigue, si ce n'est une vague résonance, et a plus valeur de parasitage du thrill qu'autre chose.
Car on épuise le jeu pour au final 0 résolution. Une petite pirouette mutine et stylistique dont on aurait pu se passer, au lieu d'en attendre vainement quelque chose.
- des affaires annexes, ou plutôt dossiers que Jeanne-juge était censée traiter dès le départ, et qui ne seront jamais traités. Dont une brochette de politiques français/compagnie suisse impliquées dans un financement d'armes du Timor Oriental, coup d'Etat à la clé. Stratégies frauduleuses qui mettent l'eau à la bouche… M'enfin, nous sommes avertis : "comme on dit chez les juges, un dossier chasse l'autre".
…Et si ce n'est nous confirmer que la justice et les enquêtes françaises sont à la ramasse (après tout, en Novembre 2015, on en est toujours aux dossiers de cambriolages d'Octobre… 2014.), faire miroiter la lueur du petit scandale politique ou la mouise dans laquelle Korowa pourrait se mettre, le dossier est vite évacué, même si on ne sait pas où il passe.
Puis dernière frustration, qui n'est pas des moindres : le twist final. 500 pages d'élaboration d'intrigue, où de vastes sujets comme la Préhistoire, l'origine du mal chez l'Homme, l'autisme, ou encore la théorie freudienne Totem et Tabou, finissent par s'agencer laborieusement… nous faisant saliver à la simple perspective d'une entorse à la phylogénétique qui nous est connue, qui confronterait l'humain moderne à l'humain archaïque… Mi-crédible, mais pas moins mi-exaltant… Au lieu de quoi, un dénouement d'une quinzaine de pages, moins crédible encore, qui n'exploite quasi rien de toutes les théories philosopho-scientifiques mises trois plombes en exergue.
Je dis "moins crédible", parce que ça tombe comme un cheveu sur la soupe, et parce que le profil psychiatrique du tueur (le tout se voulant très terre-à-terre, du coup, envoyant valser tout autre fantasme… que peut-être une touche de fantastique aurait bien servi) est absolument invraisemblable. A ce titre, toutes les références psychanalytiques, quoique maladroites, un peu grosses, tombent aussi à l'eau, avec la conclusion bâclée.
Bon, mais ma déception fut juste à la hauteur de mes attentes, car c'est du Grangé… j'ai toujours accroché, quelque part. La polyvalence de l'intrigue, la valeur "documentaire" que l'on note bien au travers des descriptions des différentes zones du globe, les parallèles à coups de références culturelles ou artistiques. L'horreur de certaines scènes et ce à quoi elle renvoie, la fascination nous faisant relire plusieurs fois le passage. Au final, un style d'écriture auquel je suis si familiarisée que j'apprécie en retrouver les défauts.