Zemmour, qu'on ne présente plus, nous gratifie d'un nouveau livre, auto-édité cette fois-ci (et dont certaines coquilles, il faut bien le dire, ne rendent pas hommage à son auteur), qui prend la forme d'un journal, suivant le modèle de l'illustre Hugo et de son Choses Vues. Ne vous y trompez pas, il ne s'agit donc pas d'un livre programme.
Aujourd'hui, difficile de passer à côté de ce livre tant le succès rencontré à sa sortie est important (j'ai lu quelque part qu'on parle d'un possible demi million de ventes, chiffre colossal pour un livre), voilà pourquoi il me paraît important d'en faire son propre avis et de juger si ce livre est aussi important que le tapage médiatique qui l'entoure.


Un journal, donc, qui débute là où nous avait laissé son précédent livre, Le Suicide français, il y a quinze ans, et prend la forme d'une série d'anecdotes mondaines et d'analyses, celles-ci passées au travers de son "filtre idéologique", de différents événements ayant marqué l'actualité. Ainsi nous sommes attablés dans tel restaurant italien à Paris où Zemmour nous révèle ce qu'untel, issu du monde médiatico-politique, pense de la France, des banlieues, de l'Islam, de l'immigration, des idées de Zemmour, etc. Le tout enchâssé entre une introduction et une conclusion, celle-ci se révélant plus intéressante que le reste.


Car je dois bien le reconnaître, en lisant ce livre, je me demandais bien à qui il pouvait s'adresser. Les déjeuners parisiens entre hommes d'influence, pour le petit prolétaire provincial que je suis, c'est un monde étranger à découvrir. Si ce que dit Zemmour est vrai (et on sait que parfois, lorsqu'il s'agit d'anecdote, les détails lui échappent et s'en trouvent déformer), alors on apprend ce que l'on se doutait tous un peu: les politiques et les journalistes taisent dans leur prise de parole publique ce qu'ils pensent vraiment. Il ressort l'impression que les hautes sphères sont convaincus du risque, voire de l'imminence de la guerre civile; ainsi Borloo qui se vante au détours d'une conversation que son plan de 40 milliards pour les banlieues à retarder la guerre civile de 10 ans, ou Macron qui reconnaît que s'il portait le même discours que Zemmour, alors la France entrerait en guerre civile.


Or, ce risque de guerre civile, pour qui connaît Zemmour, est déjà une conviction ancrée. Et toutes les idées qu'il diffuse depuis des années sont connues et reconnues par ses partisans et ses contempteurs. Il n'y a dans ce livre rien de nouveau dans le fond. Alors pour qui ce livre ? Pour les journalistes ? Je cite Régis Debray, repris par Zemmour: "un journaliste est quelqu'un qui lit d'autres journalistes". Ce serait alors un livre où les rédacteurs de Valeurs, ou du Fig', pourraient y puiser de l'inspiration pour des articles, ou ceux des journaux de gauche de la matière à brocarder la droite ? Et je doute que le prolo qui vote LePen soit très porté sur la lecture, a fortiori un essai. Et mis à part des militants, pro ou anti, et des journalistes, qui à besoin de connaître les idées et la vie de Zemmour ?


Si encore il nous avait entretenu plus longuement de sa relation avec le milliardaire Bolloré, il y aurait eu matière à s'interroger sur ce lien et sur l'influence de cet homme sur le jeu politique français. Mais rien, Bolloré est à peine évoqué. Je soupçonne Zemmour de ne pas dire tout ce qu'il a vu, notamment dans le bureau du grand patron. Et peut-être qu'il n'y a rien à dire, après tout.


Donc je ne comprends pas pourquoi ce livre. Je ne comprends pas sa raison d'être, je ne comprends pas ce qu'il apporte. Je comprends que ceux qui l'achètent, comme moi, cèdent aux sirènes médiatiques qui ont excité leur curiosité. Je n'ai pas lu Choses Vues, son modèle, mais je vois que c'est un livre de 860 pages, autant dire qu'Hugo en a vu et qu'il en a à raconté, et que sa valeur historique, autant (je le présume) que littéraire est inestimable. Alors que je doute fort qu'on se souvienne du livre de Zemmour (300 petites pages) dans dix ans, sinon parce qu'on continuera de parler de son auteur.


Et finalement, sa conclusion, qui nous révèle les grandes lignes de ce que sera certainement son programme politique de candidat à l'élection présidentielle: après les "3D", voici venu le temps des "5I": Identité, Immigration, Indépendance, Instruction, Industrie.


Mais nous n'en saurons pas plus, comme si ce livre, au final, n'était qu'une longue bande annonce de 300 pages pour nous annoncer ce que tout le monde sait déjà: Zemmour sera candidat, rangeant son livre dans la grande bibliothèque des livres oubliables écrits par d'autres hommes politiques dont on se fout totalement.

SAS_Rodolphe
4
Écrit par

Créée

le 18 oct. 2021

Critique lue 304 fois

1 j'aime

SAS_Rodolphe

Écrit par

Critique lue 304 fois

1

D'autres avis sur La France n'a pas dit son dernier mot

La France n'a pas dit son dernier mot
Libellool
10

Un nouvel espoir pour les invisibles de la République

En 2014, j'ai découvert avec curiosité - puis jubilation au fur et à mesure que j’avançais ma lecture - l'esprit, la vision et les valeurs à l’ancienne du journaliste Eric Zemmour dans son Suicide...

le 4 oct. 2021

43 j'aime

135

La France n'a pas dit son dernier mot
silaxe
9

Zemmour 2022

Peu importe le contenu, peu importe le style, peu importe les adjectifs épouvantés de la gauche et de la bien-pensance à son égard, peu importe le but d'Eric Zemmour exprimé à travers la parution de...

le 13 nov. 2021

13 j'aime

12

Du même critique

Dialogues désaccordés
SAS_Rodolphe
4

Echange inutile et perte de temps.

J'ai ressorti ce livre de la cave auquel je n'avais pas touché depuis son achat lors de sa parution. De ma première lecture il ne m'en était rien resté, excepté le souvenir que je l'avais lu. Et j'ai...

le 8 sept. 2021

3 j'aime

Rencontres du troisième type
SAS_Rodolphe
6

Les petits gris sont-ils vraiment nos amis ?

Comme chacun, j'ai beaucoup aimé le choix du film de raconter une (non) invasion extraterrestre en maintenant son regard au niveau de l'homme ordinaire. Et comme ces petits êtres étranges venus...

le 23 févr. 2022

2 j'aime