Révision à la baisse

Durant des années, La France périphérique de Christophe Guilly était un de mes livres de chevet. C'était le livre qui expliquait tout, qui expliquait pourquoi le clivage droite-gauche, bien que toujours existant, semblait tellement affaibli, et qui expliquait les incohérences de ce clivage (pourquoi tant de riches votent à gauche, et tant de pauvres à droite ?). Et de fait, ce livre a joué un rôle crucial dans la réflexion politique de beaucoup de gens, il a montré des choses que personne ne montrait, et il reste un livre très important à cet égard.

Mais il y a quelques mois, j'ai lu une étude sur les opinions sociétales des français, qui montrait que, contrairement à ce que Guilly croit, contrairement à ce que je croyais, contrairement à ce que la plupart des gens croient en fait, il n'y a pas réellement de différence entre la vision du monde des urbains et celle des ruraux ou des périurbains (et le peu de différence qui existe s'explique surtout par le facteur "âge"). Les retraités lozériens ne sont pas plus racistes que les retraités lyonnais, et les vingtenaires du centre-ville strasbourgeois ne sont pas plus favorables au mariage pour tous que ne le sont les vingtenaires vivant cent kilomètres plus loin. (il y a en revanche des différences d'une région à l'autre, mais pour les comprendre Emmanuel Todd est un recours plus utile que Guilly)

J'ai alors réalisé que Guilly avait un gigantesque angle mort : la propriété immobilière. Il n'en parle presque jamais, de la propriété immobilière, or si on réintroduit ce facteur beaucoup de choses reprennent la place qu'elles sont supposées avoir.

Les pauvres qui votent à droite ? Très souvent, ils sont propriétaires de leur logement. Ils sont "pauvres" dans le sens où ils sont endettés sur trente ans, font des métiers physiquement difficiles et peu gratifiants, travaillent cinquante heures par semaine, ne partent jamais en vacances, ont trois heures de transports en commun ou de voiture chaque jour, ont une espérance de vie plus faible, mangent des pâtes à tous les repas. Mais ils sont propriétaires de leur logement.

À l'inverse, les riches qui votent à gauche ? Ils vivent en centre-ville, ont de bons salaires, font des métiers "intellectuels", ont étudié à l'étranger, prennent l'avion plusieurs fois par an, passent le mercredi après-midi avec leurs enfants, partent en week-end, ont une vie culturelle riche, mangent bio. Et ils paient des loyers exorbitants, parfois 2000 euros par mois. Mais beaucoup sont locataires.

De nombreuses études montrent comment, lorsqu'on met en place des programmes d'accession immobilière dans les quartiers HLM (programmes qui permettent aux locataires d'acheter à bas prix les logements dans lesquels ils vivent), ces quartiers changent leur vote de la gauche à la droite en seulement quelques années...

Christophe Guilly reste un des penseurs les plus passionnants de l'époque. Mais j'aimerais beaucoup que son prochain livre soit consacré à la question de la propriété immobilière.