Troisième et - certainement dernier - épisode de la trilogie Art Keller. Sans quoi, d'ailleurs ça ne serait plus une trilogie; blague à part, la façon dont ça se termine ne laisse qu'une ouverture étroite à la possibilité d'une suite. Mais sait-on jamais, un éditeur qui ne satisferait pas de l'interruption d'une série à succès? Quoiqu'il en soit, c'est aussi épais et volumineux que les deux précédents opus (La griffe du chien et Cartel pour ne pas les nommer) et j'avoue avoir mis un temps respectable à le tomber, celui-ci.
Non pas tant que ça soit difficile à lire : le style fluide, nerveux et direct de l'écriture de Winslow perdure dans ce troisième volume. Mais il est vrai que mon temps de lecture a diminué à due proportion de la fréquence de mes déplacements professionnels (pour des raisons que chacun, je crois, comprendra). Et puis, l'effet de surprise de la griffe du chien n'y est plus. Et puis, il aura fallu que ma mémoire parfois défaillante recolle les morceaux des épisodes précédents. Mais comme je le disais plus haut, c'est gros (842 pages). Bon, cela étant, en dépit de ma lecture au ralenti (et par petits bouts), c'est loin à mes yeux d'être mauvais, comme en témoignent mes huit étoiles.
Le bouquin comporte cinq parties (cinq livres). Et les quatre premières ressemblent fort à ce que l'on trouve dans les deux premiers tomes de la saga. Bien sur, Adan n'est plus là, mais on aura compris que les prétendants à son trône ne manquent pas. On y retrouve donc avec plaisir l'atmosphère si particulière du cénacle des dirigeants de cartels mexicains, faite d'implacable cruauté, de respect des traditions, d'esprit entrepreneurial et de respectabilité affichée. Tout comme on y retrouve le stress et la tension des opérations anti-drogue, avec leurs agents infiltrés. Au passage, Winslow s'autorise quelques charges bien senties contre son propre pays, les Etats-Unis, en butte dans le bouquin comme dans la réalité, à une crise sanitaire résultant de la diffusion des opiacés et à la cupidité, de plus en plus décomplexée et débridée, de ses élites politiques et économiques. En laissant entendre que le problème, ce n'est pas uniquement au Mexique qu'il trouve ses origines.
Le cinquième livre est une vraie réussite, qui exploite à merveille les jalons habilement disposés ça et là dans les quatre premiers. Les trajectoires de personnages que rien ne disposait à se connaitre vont se croiser - par le fait d'un destin que l'on pourrait qualifier d'implacable - et influer de façon irréversible sur le cours de l'histoire. Et Winslow de nous faire carrément du Capra au cours d'une mémorable séance au sénat de Washington qui conclut (presque) le bouquin. C'est beau, c'est forcément un peu naïf (car étasunien), de cet humanisme un peu désuet qui évoque l'âge d'or des États-Unis. Et ça sonne comme un cri d'alarme façon, hep les gars notre belle démocratie se pète la gueule de toute part, il faudrait peut-être revenir aux fondamentaux. Cela en n'épargnant (surtout) pas leur futur ex-président.
Toute la question étant de savoir si le prochain pourra y changer quelque chose, tant l'effondrement semble inéluctable. Et comme je le disais en introduction, peu de chances que l'on y trouve la réponse dans un quatrième opus des aventures d'Art Keller.