La Grande Fenêtre
Raymond Chandler (1949)

[éd. Folio Policier]


        "La Grande fenêtre" est le premier roman de cet auteur que je lis. Raymond Chandler est souvent cité comme un membre éminent de la hard-boiled school. J'ai été intrigué par les références à l'auteur qui abondent dans "Kiss kiss bang bang" de Shane Black; et par le fait qu'il soit également cité par James Crumley.
La critique sera succincte et - j'en suis désolé par avance - subjective. En effet, je suis parti avec quelques a priori. Je m'attendais à lire un roman de gare, un roman policier léger publié en son temps dans des revues américaines (pulp), avec du sensationnel, dans la lignée d'un Dashiell Hammett ("Moisson Rouge"), voire d'un Chester Himes.
Si Chandler évite certains clichés, d'autres sont présents. Et au regard du brio dont fait preuve l'auteur pour les manier, on regrette de ne pas y trouver TOUS les clichés attendus! Par exemple les décors vieillots, enfumés, et/ou poussiéreux; les dialogues de durs-à-cuire, comme un langage à part, plein de sous-entendus, incompréhensibles pour les non-initiés; la solitude du détective déterminé et moral; et cetera.

P.206: "Encore une journée qui tire à sa fin, journée morne, lasse;
dehors, le grondement de la circulation plus dense à cette heure; et
dans son bureau, Marlowe sirotant un verre et ouvrant son courrier du
jour: quatre prospectus, deux factures.
Je bourre ma pipe, je l'allume et je fume paisiblement.
Personne ne vient, personne ne téléphone, rien ne se produit,
personne ne se soucie de moi,
je pourrais aussi bien être mort ou parti aux antipodes."


Des fois, je me surprenais à lire en diagonale. Grand mal m'en a pris! A la fin du paragraphe, me voilà avec la désagréable impression d'avoir raté un détail précieux, une de ces perles savoureuse de la littérature. Le style de l'auteur est extrêmement travaillé, et souvent subtil. On a à faire à une écriture bien plus exigeante qu'il n'y paraît.

Description de personnage imagée et pleine de sens:
P.86: "Il tient un verre vide à la main assez sale pour avoir contenu
des poissons rouges. C'est un type efflanqué dont la tignasse carotte
descend en pointe vers la racine de son nez. Une longue figure
chevaline qui respire la malice sordide. Des yeux verdâtres sous des
sourcils orangés et des oreilles assez larges pour battre dans les
courants d'air. Un long nez qui doit se fourrer partout. La face
entière est hermétique, la face d'un homme qui sait garder un secret,
la face impassible d'un macchbée à la morgue."


Au passage, on peux souligner que la traduction se révèle quelque peu chaotique. Certains pourraient trouver que cela nuit à l'oeuvre. Mais, à titre personnel, je trouve que cela rajoute du charme, voire du cachet.
Mon regret à moi, peut-être, serait de ne pas lire un roman "noir" qui sonderait la noirceur de l'âme humaine. Il ne s'agit "que" d'un roman policier, avec une enquête à résoudre (retrouver un objet, et la personne supposée l'avoir dérobé). L'intrigue est construite sur la base du whodunit. Mais pas que. Je parlerais même de "what did happen?" tant quelque chose d'autre se trame et le détective se débat pour savoir à quoi il a vraiment à faire.
Oui, ce roman est un classique du genre. Et si tous les romans et nouvelles de Raymond Chandler sont écrits avec autant de talent, j'ai hâte de les savourer!

P.106: "Puis je pêche la demi-bouteille de whisky au fond du grand
tiroir et je bois un petit coup en me rinçant la langue. Finalement je
m'assois, la main fermée sur le col frais du flacon en me demandant
quel effet cela peut bien faire d'être un inspecteur criminel, de
découvrir des cadavres dns tous les coins sans avoir à se frapper,
sans avoir à se débiner en douce en essuyant les boutons de porte,
sans avoir à peser ses paroles, de crainte de nuire à un client, ni à
cacher des choses sans trop nuire à soi-même. Non, décidement, ça ne
me dirait rien."

Horace_Neville
9
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à sa liste Pile des polars (et autres) que l'on m'a conseillé de lire.

Créée

le 26 oct. 2016

Critique lue 377 fois

2 j'aime

Horace_Neville

Écrit par

Critique lue 377 fois

2

D'autres avis sur La Grande Fenêtre

La Grande Fenêtre
vivianbloom
7

La haute fenêtre

Ne pas se laisser avoir par le début tout en douceur. Marlowe est chargé par une riche veuve de mettre la main sur une pièce de monnaie rare appartenant à la collection de son mari. La belle-fille,...

le 10 janv. 2012

2 j'aime

Du même critique

Le Canard siffleur mexicain
Horace_Neville
8

Avis critique sur "Le Canard Siffleur Mexicain"

"Le Canard Siffleur Mexicain" James CRUMLEY (1993) [éd. Folio Policier] "Les gens qui déconnent avec mes amis finissent toujours par s'en mordre les doigts. - Merde, mon vieux, crissa Dagoberto...

le 26 août 2016

2 j'aime

Notre quelque part
Horace_Neville
8

Avis critique sur "Notre Quelque Part"

Notre Quelque Part Nii Ayikwei Parkes (2009) [éd. Zulma] "On ne pense pas à ces choses. C'est comme la lumière. Le jour, il y a toujours de la lumière et on n'y pense pas, mais moi, Yao Poku,...

le 1 oct. 2016

1 j'aime

1

Les Terroristes
Horace_Neville
4

Avis critique sur "Les Terroristes"

Les Terroristes de Maj Sjowall & Per Wahlöö (1975) [éd. Rivage Noir] Une écriture talentueuse dans l'art des descriptions minutieuses (tenues, décors, gestes, et cetera) qui met en relief le...

le 25 sept. 2016

1 j'aime