Jean l'arracheur de dents

La première fois que j'ai abordé La guerre de Troie n'aura pas lieu, c'était en classe de seconde, à la télé. Notre professeure de latin avait diffusé l'enregistrement en cassette vidéo de la pièce interprétée par Annie Duperey, Pierre Santini et Jean Piat. Le choc fut total, abreuvés que nous étions à cet âge par les classiques barbants et les penseurs lénifiants. Louée soit-elle, car même si elle ne nous enseigna jamais le latin, elle m'inocula l'amour de Giraudoux.

Hector le troyen rentre de la guerre. Il apprend que son frère Pâris a enlevé Hélène aux grecs et que la guerre est imminente. Hector est las des batailles. Il va tâcher de convaincre tout le monde, Pâris, Hélène, les vieux troyens, la délégation grecque commandée par Ulysse. La guerre peut être évitée, il en est persuadé. Le camp de la Paix et celui de la guerre s'affronte, les raisons premières s'étiolent, Hector parviendra-t-il à faire mentir le destin ?

La guerre de Troie n'aura pas lieu est une tragédie moderne, oups pardon, une tragédie du XXème siècle. Il faut tout d'abord mettre en avant la qualité de l'écriture de Jean Giraudoux. Tel un vin doux, la richesse et la subtilité du langage enivrent le lecteur. Les tonalités se mélangent, tour à tour populaire, lyrique, badine, sérieuse. Le rythme est fluide et maîtrisé.

Les questionnements fusent aussi. Lorsqu'il écrit la pièce en 1934-1935, Jean Giraudoux sent que les tensions belliqueuses sourdent à nouveau en Europe. Blessé durant la première guerre mondiale, il défend la paix, à l'image d'Hector. Mais comment lutter lorsque le reste du monde, ou à peu près, n'a soif que de sang ? Comment convaincre les bellicistes dont les motivations se contredisent ou brillent par leur superficialité ?

Les prédictions de Cassandre fluctuent, au gré des opinions qui changent, des convaincus, autour des certitudes des têtus. La pièce rend compte de l'inconstance des hommes, de leur complexité, et pire, de leur constance, de de leurs complications, qui peuvent confiner à la stupidité. Et quoi de plus absurde, de plus vain, bref de plus tragique que le combat contre la bêtise ?