vertige

...vertige du titre - on sait tous qu'elle a eu lieu.

...vertige de la date : 1935, coincée entre la première et la deuxième guerre mondiale, qui va arriver dans 4 petites années. Toute l'Europe bruisse des caisses de munitions qu'on empile, les coulisses résonnent du bruit des bottes..

...nommer cette pièce "La guerre de Troie n'aura pas lieu" c'est comme dire "Le Titanic est insubmersible" quelques jours avant le 14 avril 1912, en étant à bord.

...tout, dans ce livre, crie qu'elle aura lieu.

Malgré les troyennes, qui se battent à chaque instant pour que leurs enfants aient un avenir.

Malgré Hector, qui vient d'en gagner une, de guerre, et voudrait que ce soit la dernière.

Giraudoux déboulonne toutes les statues :

- Les vieux, les pères, à qui on doit le respect, et qui sont prêts à sacrifier la jeunesse troyenne pour garder Hélène ( Priam immonde ).

- Les poètes, mirlitons militaristes, va-t-en-guerre à vomir.

- Le peuple, qui sape à chaque instant les efforts d'Hector, par orgueil national ( ces interventions, ces clameurs bravaches toujours au plus mauvais moment ! Comme on se prend à les haïr ! )

- La virilité, qu'Hector le guerrier n'hésite pas à laisser tomber, par amour, pour la paix ( ce "Je t'aime" d'Andromaque, après la gifle qu'il a reçue sans broncher - lui, montrant sa joue : "Oui, mais ne m'embrasse pas encore tout de suite, veux-tu ?" )

- La paix elle même, incapable de s'imposer - "Elle est malade" !

- Les dieux, cyniques - qui n'apparaîtront pas, laissant à leur messagère Iris le soin de dévoiler leurs intentions - sans aucune utilité : Zeus lui-même ne dit pas autre chose que "s'il pleut, il pleuvra ".

- Hélène, centre de cette guerre, et si neutre - qui ne s'est demandé ce qu'elle pensait de tout ça, Hélène ? Victime ou coupable ? Giraudoux en fait un monument de neutralité - elle n'aime pas les hommes, elle se frotte à eux comme à du savon - mais elle séduit. Elle sait déjà qu'elle ne changera rien au destin. Pour Giraudoux, elle a un don : elle voit en couleurs vives ce qui a des chances d'advenir. La paix, elle la voit pâle et grise...

- La guerre elle-même, qu'on ne verra pas mais qui hante ces pages - et qui advient pour des raisons stupides, presque par accident, sauf que non, bien sûr, elle advient parce que tout l'appelle, comme un orage qu'on voit s'assembler, grossir, et qui ne peut manquer d'éclater...

Le livre est court et se lit vite. On rit souvent.

Il se digère plus lentement, et alors on rit moins.