Dans mes lectures 2022, passage obligé par Svetlana Alexievitch pour aller à la rencontre de la (Biélo)Russie d'aujourd'hui après la découverte de celle du XIXème siècle de Gogol ou Tolstoï.
En quoi est-ce de la littérature russe ?
La Guerre n'a pas un visage de femme nous parle de la patrie de l'auteur, de son histoire, de son âme.
Comme La supplication, le livre est un assemblage de témoignages, ici recueillis auprès d'actrices du drame de la 2nde guerre mondiale. Militaires, amantes, mères, filles mais toujours engagées...
Evidemment nous sommes loin de l'humanisme russe tel qu'il est abordé dans la fin du XIXème siècle. Loin de l'existentialisme de Dostoïeski.
Mais si le caractère soviétique ne fait aucun doute, c'est surtout le traitement littéraire qui pouvait interroger. En effet, la démarche est plus celle d'une journaliste ou d'une historienne que d'une romancière.
Pourtant, comment ne pas être impressionné par la fluidité de l'ensemble. Certes obtenir un Prix Nobel ne se construit pas sur le seul côté humaniste de la démarche. Mais ici, l'écrivaine retranscrit avec talent les histoires et émotions qui lui ont été si précieusement confiées.
Bien loin d'une simple juxtaposition par écrit d'enregistrements oraux, il ne fait aucun doute que Svetlana Alexievitch a remodelé les témoignages pour leur donner une tournure artistique tout en conservant leur aspect brut, authentique et dramatique.
Ce que j'ai appris de l'Histoire ou de la Géographie de la Russie
La Guerre n'a pas un visage de femme comme La supplication est une mine d'informations pour comprendre l'âme russe.
Sacrifice, fatalisme, sens du collectif.
Mais aussi égarement voire effacement face aux errements du totalitarisme stalinien ou aux mensonges étatiques.
La femme soviétique, qu'elle soit biélorusse, ukrainienne ou simplement russe, ressemble à s'y méprendre à une enfant pleine de vie, débordant d'amour et d'enthousiasme. Mais aussi de naïveté.
Elle est surtout un être facilement façonnable, qui devient le jouet d'autrui qu'il soit homme, autorité militaire ou belle famille.
Ce que j'ai aimé, ou pas...
Le livre fait écho à la Russie de Poutine et son aveuglement depuis l'invasion de l'Ukraine.
A croire que les Russes n'ont rien appris :
- ni de leur propre sacrifice imposé par Staline et confrères,
- ni des mensonges du régime lors de Chernobyl.
C'est ce qui rend l'ouvrage essentiel pour nous rappeler - en Russie comme ailleurs - que les femmes sont avant tout victimes.
Victimes de leur éducation immolée.
Des pressions sociales et du manque de reconnaissance.
Victimes de la fragilité que leur propre humanité revêt lorsqu'elle se heurte au mépris des plus forts.
En un mot, La Guerre n'a pas un visage de femme est un ouvrage émouvant et révoltant.
C'est ce qui rend la démarche de Svetlana Alexievitch indispensable pour qui souhaite regarder en face le monde d'hier pour mieux construire le monde de demain.