Qu'on me file un bout de terre à contrer !

C'est quelque peu dérouté que l'on commence la lecture de La horde contrevent. Dérouté par cette pagination inversée qui fait sourire mais nous perd un peu, mais surtout par les petits glyphes qui introduisent chaque paragraphe. Leur signification est pourtant simple, identifier le point de vue de la narration dès qu'un saut de ligne s'impose dans la page. Et c'est là la première singularité attachante de ce roman atypique, sa recherche formelle, en tant qu'objet, que l'on rencontre avant même de s'imprégner de l'histoire. Si le procédé peut paraître un peu gadget dans les premières pages il devient au contraire un instrument redoutable en terme de narration. Il permet entre autre à Damasio d'insuffler à son pavé un rythme qui ne faiblit jamais et prend de l'ampleur au fur et à mesure que les personnages nous deviennent familiers. Au bout d'une centaine de pages, les récurrents sont nos compagnons de galère et dès que leur symbole s'invite en début de ligne, on s'empresse de connaître leurs états d'âmes. Si le procédé fonctionne autant, c'est également parce Damasio change de style avec une aisance folle, pour caractériser très précisément ses différents personnages, surtout les principaux. Qu'on passe de l'inflexible rustre Golgoth dont le langage fleuri nous met immédiatement la rage aux ventres, au truculent Caracole qui manie sa langue avec une agilité autochronique impériale en passant par le noble Pietro, le ton est reconnaissable immédiatement et nous permet sans difficulté de nous imaginer les personnages en quelques pages. La prouesse est belle et bien là, elle permet au livre de revêtir une dimension supplémentaire, qui m'a littéralement conquis.


Si cette intelligence dans la confection de cette oeuvre littéraire est totale, c'est parce qu'elle est bien évidemment mûe par une plume diabolique. Alain Damasio possède un sens du récit impressionnant et mène sa barque sans faiblir, en alternant action oppressante et émotion vive. Dans les deux cas, les pages s'enchaînent sans qu'on ait l'impression de les lire, une seule envie nous prend au corps, connaître la suite. Passé les 200 premières pages il est même vain d'espérer pouvoir penser à autre chose qu'à cette horde implacable. Le plaisir de rouvrir le livre pour s'immiscer à nouveau dans leurs contres diaboliques est total. On saluera également la belle mythologie que crée son auteur autour du vent en le décortiquant à l'extrême pour en faire un objet mystique, personnage à part entière du livre dont la puissance intimide.


Les 100 dernières pages du voyage sont redoutables. Fin du périple, mais début d'un autre, jamais définitif mais pourtant si poignant, le pincement au coeur s'invite à la fête. On se laisse émouvoir sans honte aucune par le destin de la horde autant que par la portée philosophique de l'ouvrage. A travers les personnages les plus marqués de son livre, Damasio nous offre une aventure épique passionnante et passionnée. Impossible de finir la lecture sans avoir envie de réciter les 9 formes du vent, de dessiner un furvent tout en ponctuation ou d'aller serrer la pogne, en serrant les dents, à Golgoth, le traceur intrépide pas vraiment timide. N'ayons pas peur des mots, à mes yeux, encore embués, La horde du contrevent est un chef d'oeuvre total. Créatif en diable, propulsé par une plume radicale et précise (la joute verbale est un grand moment), il s'impose comme une référence immédiate pour tout amateur des voyages singuliers on ne peut plus inspirés. Respect.

oso
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le 5 mars 2014

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