Se lancer dans la lecture d'un livre soutenu par un tel bouche à oreille positif relève de la gageure, quand comme moi, on est taraudé par un étrange a-priori négatif découlant du fait que tout le monde (mais personne en particulier que je connaitrais) a aimé.
Pendant au moins 100 pages, on traque alors la faute, les maladresses, les à-peu-près, histoire de se convaincre que bon, tout le monde a plongé tête baissé mais qu'en sachant raison garder on réussira bien à voir en quoi le bouquin en question n'est quand même pas le chef d'œuvre clamé partout.
Mais c'était sans compter que contrer ce livre est aussi épuisant pour le lecteur que de contrer les furvents pour les membres de la Horde : Damasio, il faut le reconnaître, a une maîtrise parfaite de son sujet, et des moyens à mettre en œuvre pour le rendre obsédant. Ses 700 pages, quoiqu'on en pense en les remontant à contre courant, sont bluffantes. Il tient de main de maitre toutes les références appelées à la rescousses - Deleuze, Nietzsche, Carnap, Ricoeur etc - et les 23 personnages lancés dans la tourmente.
Seul petit hic que je pourrais d'ailleurs lui reprocher, c'est qu'il a l'air très conscient de cette maîtrise, et que finalement il laisse peu de latitude au lecteur, qui se retrouve un peu le 24e membre de la Horde, obligé de suivre ou de mourir sur place. On en vient même à se demander si c'est exprès qu'il nous laisse deviner le twist de la fin après deux tiers du livre : pour qu'on ait envie de vérifier notre hypothèse, et qu'on n'abandonne pas à notre tour la quête absurde de l'extrême-amont, échec qui serait pour lui aussi inexcusable que la dissolution de la Horde pour Golgoth son chef ?
Qu'il se rassure, en bon petit soldat j'ai couru contre le vent et terminé le pavé à bout de souffle !