Je n'avais jamais entendu parler d'Alain Damasio jusqu'à il y a deux ans de cela, et le bouche-à-oreille incroyable et dithyrambique (sur SC ou ailleurs) autour de ses romans avait forcément de quoi intriguer. Et je me décidai donc à le lire il y a un an et des poussières, afin de voir par moi-même de quoi il en retournait.
Or cela faisait longtemps que je ne m'étais pas plongé dans de la fantasy, et j'appréhendais un peu le fait de retrouver les codes du genre.
Mais je me trompais complétement : ce roman ne ressemble à aucun autre (parmi ceux que j'ai lus en tout cas).
La grande force du livre est avant tout le style de l'auteur. Il a pris le pari risqué de raconter les événements par les 23 membres de la Horde. Par conséquent, il a du jongler avec 23 styles différents d’écriture. En pratique, ce sont souvent les 4 ou 5 mêmes personnages qui narreront la majorité de l'aventure, mais c'est déjà un beau challenge, et surtout ça permet une empathie accrue et une personnalité renforcée pour chaque membre.
Ce n'est pas forcement une lecture facile, dans le sens où il faut un certain temps pour s'habituer à cette mécanique, à apprivoiser chaque personnage. Le livre se mérite en quelque sorte. De plus, Damasio n’hésite pas à faire recours à des néologismes, et à partir dans des digressions métaphysiques ou philosophiques à certains moments pour décrire les différentes formes de vent, ce qui pourrait à priori rebuter le lecteur lambda. Mais c'est tellement bien amené et écrit qu'on se laisse guider sans souci par sa plume.
Mais, même si j'ai vraiment bien aimé ce récit, il n'est pas totalement exempt de défauts selon moi. Ainsi la fin, bien qu'absolument épique, peut apparaître un poil confuse et attendue (cela m'a un peu fait penser au cycle de La Tour sombre de Stephen King, avec son final téléphoné).
Mais le principal reproche que je ferais, c'est que... le livre est trop court, malgré ses 700 pages ! On a envie d'en savoir davantage sur ces personnages, et quelques grosses ellipses viennent briser un peu cela. Ainsi, j'ai trouvé que cela mettait pas mal de temps à démarrer (ce qui n'est pas forcement un défaut en soi), mais qu'à certains moments, pouf, on était tout d'un coup 2 ans plus tard, avec plein d’événements passés sous silence qu'on aurait aimé connaitre. Cette dissymétrie temporelle dans la narration m'a un peu frustré je dois dire.
Heureusement, c'est aisément compensé. Par le style virevoltant de l'auteur tout d'abord, par ses personnages qu'il a réussi à construire et qui semblent être plus que de l'encre et du papier, et aussi par sa force de narration. Ce bouquin regorge de passages dantesques et jouissifs : tout d'abord le début in medias res durant lequel on se retrouve sans aucune forme d'explication en plein contre d'un vent violent au milieu de la Horde, puis le combat contre le Poursuiveur, la traversée de la flaque de Laspane, et surtout cette sublime joute orale où Damasio se révèle, un peu à la manière de Queneau ou Pérec, un véritable magicien de la langue française.
Bon, ça fait une assez longue critique pour ce livre, et je me rends compte qu'au final, je n'ai peut-être pas assez fait ressentir le sentiment d'exaltation qu'il a fait passer en moi. Malgré ses défauts mineurs, c'est un roman de fantasy qui marque le lecteur au fer rouge, et qui réussit l'exploit en définitive assez rare de le transporter corps et âme dans un univers que l'on souhaiterait ne plus quitter.
PS : Je n'avais pas encore lu La Zone du dehors au moment où j'avais découvert La Horde du Contrevent. Damasio fait selon moi un auteur de science-fiction encore meilleur qu'il n'est conteur de fantasy. C'est peu dire.