Il y a longtemps que je n'avais pas eu à lutter autant pour finir un livre. J'adore l'univers mais la forme est tellement particulière et tellement, lourdement, présente qu'à partir d'un moment, on ne voit plus qu'elle. Et je l'ai malheureusement bien souvent détestée.
L'extrait qui suit n'est pas un paragraphe, c'est juste une phrase. Une simple phrase. Si contrairement à moi, vous arrivez à la fin en y prenant du plaisir, sans mal de crâne et sans être revenu trois fois au début parce que vous ne compreniez plus où vous en étiez, vous adorerez ce livre.
"Et ils rirent dans le ciel, ils rirent de cette blague pour nous si infantile, ils rirent jusqu'à ce que les deux Erg leur détachent leur mousqueton et les déposent sur la crête et qu'ils courent se jeter dans les bras l'un de l'autre et je ne savais pas quoi dire, Sov et Pietro étaient revenus à présent et ils observaient sidérés la scène et je me demandais qui était le Horst d'origine et qui était la copie et si ce distinguo avait le moindre sens, et comment il était possible qu'un même corps et qu'un même esprit, répliqué dans l'espace, puisse se reconnaître pour différent et le vivre dans une schizophrénie magnifique et emboîtée puisque immédiatement, dès les premiers échanges, ils s'étaient positionnés l'un comme Karst l'autre comme Horst alors même qu'il ne pouvait pas, qu'il ne pouvait plus y avoir de Karst, juste un pur doublon généré par un chrone, juste une copie parfaite, une copie qui contenait seulement le vif de Karst, de sorte que c'était sans doute ça, ce vif qui impulsait de l'inconscient radical la réinvention du frère tellement aimé, du jumeau dont la mort n'avait tout simplement jamais pu être acceptée ni surmontée et qui trouvait là une solution concrète à ce manque sinon incomblable, une solution si étrange parce que fabriquée, si glaçante en soi puisqu'elle n'offrait pas le retour du frère réel mais un duplicata de soi qui endossait la projection, mieux, qui l'incarnait avec la totalité en lui, du même coup, des souvenirs communs, hormis l'épisode de la flaque - ou même pas puisque la puissance fantasmatique de l'âme de Horst avait dû depuis longtemps déjà réformer l'accident avec une autre issue, cette issue qui maintenait à bout de bras et d'espoir son frère vivant en lui depuis Lapsane."