Depuis bientôt 30 ans, Terry Pratchett fait s'esclaffer des gens dans le monde entier avec ses romans du Disque-Monde. Le Disque-Monde, c'est un univers assez excentrique puisqu'il consiste en un gigantesque disque plat posé sur le dos de quatre éléphants non moins gigantesques, eux même posés sur une tortue encore plus gigantesques que les trucs gigantesques suscités (la preuve, on l'appelle la grande A'tuin) et présentant une satire irrévérencieuse de notre propre monde. Parce que aussi bizarre que cela puisse paraître suite à cette description, le Disque-Monde ressemble étrangement au notre. Que ce soit la politique, la religion, la technologie, la science, la guerre, la mort, le cinéma, le racisme, les poncifs de la fantasy, les comportements banals, les idées préconçues, l'éducation, et encore toute autre sorte de chose, tout passe à la moulinette rigolarde de Sir Terry Pratchett qui en bon chevalier qu'il est semble avoir fait vœux de traquer sans relâche à l'aide d'une bonne dose d'humour et de sagesse toutes les petites manies et bizarreries de notre société avec un style qui n'appartient qu'à lui.
Pourtant, tout cela va au delà de la simple volonté d'amuser. Distillé l'air de rien à coup de petites remarques en bordures de textes ou utilisant le point de vue souvent cynique (et nous parlons ici d'un cynisme philosophique cher à Diogène de Sinope) de certains de ses personnages tel que Rincevent, Samuel Vimaire, Mémé Ciredutemps ou Havelock Vétérini le patricien d'Ankh-Morpork, Pratchett crée une œuvre qui au final est plus sérieuse qu'on ne pourrait le penser au premier abord. Je peux vous le dire de source sûre, puisque j'ai lu actuellement tous les romans du disque-monde avec un plaisir sans cesse renouvelé et que j'ai assisté à l'évolution de la saga et son passage progressif de simple dénonciation des poncifs de la fantasy à quelque chose de beaucoup plus profond. En ce sens, Terry Pratchett est sans doute le seul type au sein de la fantasy que je comparerais à Tolkien. Non pas pour la similarité de leurs univers ou de ce qu'ils font*, mais pour la profondeur du travail accompli.
(* Tolkien faisant une mythologie qui s'éloigne de toute allégorie et Pratchett les multipliant)
Catégoriser Pratchett est difficile. Un critique avait dit de lui: "si les Monty Pythons et les Marx Brothers s'alliaient pour écrire de la fantasy, le résultat serait un tout petit peu moins délirant" Et pourtant, ça ne rend pas encore compte de tout le génie de Pratchett. Il faudrait également faire quelques comparaisons avec ses influences tel que Jerome K Jerome, PG Whodehouse, ou Douglas Adams. J'ajouterais personnellement que je considère Terry Pratchett comme un héritier de gars comme François Rabelais, Mark Twain, Jonathan Swift et même de Voltaire pour l'aspect conte philosophique que revêt peu à peu les annales du Disque-Monde.
Bon là, j'ai un peu l'impression d'être Planteur J.M.T.L.G en train d'essayer de vous vendre une saucisse dans un petit pain... mais voilà, Pratchett, c'est génial et c'est de la littérature écrite avec un gros nez rouge, ce qui ne cesse pas d'ennuyer les académiques (une bonne raison supplémentaire pour les adorer). Pratchett lorsqu'il reçut un prix en Angleterre pour service rendu à la littérature déclara: " le service en question doit être le fait que je me suis refréné de jamais en écrire". Ce qui en plus démontre le manque de prétention absolu du bonhomme.
Dans Accroc du roc, ont peut d'ailleur lire ceci: "Susanne détestait la littérature, elle préférait de loin lire un bon livre" et je ne suis pas loin de lui donner raison.
D'ailleurs en préambule à la critique de la Huitième Couleur (ben oui, ça va venir là, poussez pas!), je tiens à dire que ça n'est pas dans le style que Pratchett est le meilleur. C'est classique, et même parfois un peu le foutoir, mais on peut difficilement demander à un cerveau ayant autant d'imagination de pondre des phrases biens droites et au garde-à-vous au service de la littérature tout de même.
Maintenant qu'on a passé la présentation de l'auteur (vous ai-je déjà dit que je l'aimais beaucoup?), il faut pondre un petit truc sur la Huitième Couleur.
Premier roman du Disque-Monde, il forme un diptyque avec le huitième sortilège. Il vous faudra donc lire les deux pour connaitre le fin mot de cette histoire
.
C'est l'histoire du premier touriste du Disques-Monde. Le premier type qui va quelque part pour ne rien y faire d'autre que regarder!!! Une attitude qui peut paraître normale à la plupart d'entre nous, mais qui semble totalement étrange aux habitants de la cité d'Ankh-Morpork où débute le récit. Le touriste en question s'appelle Deux-fleurs et vient d'un continent lointain aux résonances asiatiques. C'est le regard neuf et un peu candide par lequel nous pénétrons à l’intérieur de l'univers aussi fantasque que fantastique de Pratchett. Il va vite être rejoint par un mage incapable de jeter le moindre sort depuis qu'un enchantement puissant a été se cacher dans sa tête (détournement de la manière dont les sorts sont mémorisé dans Donjons & Dragons), connu sous le nom de Rincevent, bien obligé de se soumettre aux arguments* du patricien d'Ankh-Morpok qui tient à ce qu'il n'arrive rien à ce citoyen étranger ce qui pourrait faire une mauvaise publicité à sa cité (*lesquels arguments consistent à un choix entre une mort lente et douloureuse ou l'acceptation de la mission). Rincevent s’étant fait mettre à la porte de l'université invisible, il n'a d'autre choix que de participer à cette entreprise pleine de danger qui consiste au beau métier de guide touristique.
Je ne vais pas développer plus, n'ayant pas envie de vous gâcher le plaisir de la découverte.
Donc la huitième couleur et le huitième sortilège constituent la porte d'entrée dans l'univers de Pratchett. Ce ne sont assurément pas les meilleurs de la saga, mais ils restent tout de même très drôles. Ils sont indispensables à lire si vous voulez comprendre quoi que ce soit aux autres livres des annales. Cette première œuvre se moque allègrement des poncifs de la fantasy et de l'horreur et on y voit déjà apparaître en filigrane une satire brillante de nos écueils individuels et collectifs. Les premiers tomes d'une saga sans équivalent en littérature de l'imaginaire.
Si vous voulez connaitre mon avis général sur le reste des annales, vous pouvez consulter ma liste: http://www.senscritique.com/liste/Terry_Pratchett_le_Disque_monde/51490.
Je ne résiste pas, pour ceux qui ne seraient pas encore convaincu, a vous noter quelques phrases tirées du livre.
"Pittoresque. Un mot nouveau pour le mage Rincevent (diplôme de magie, Université de l'Invisible [recalé]). Un parmi tous ceux qu'il avait appris depuis son départ des décombres calcinées d'Ankh-Morpork. "Désuet" en était un autre. "Pittoresque" voulait dire - avait-il conclu après une observation minutieuse du paysage qui poussait Deuxfleurs à employer cet adjectif - que le coin était horriblement vertigineux. "Désuet", employé pour qualifier un village qu'il leur arrivait de traverser, voulait dire ravagé par les fièvres et en ruines.
Deuxfleurs était un touriste, le premier jamais vu sur le Disque-monde. "Touriste", avait conclu Rincevent, voulait dire idiot."
"Dans chaque personne saine d'esprit, il y a un fou qui cherche à sortir (...). Personne ne devient fou aussi vite qu'une personne parfaitement saine d'esprit."
"Disons seulement que si le chaos absolu se traduisait par la foudre, ce gars-là serait du genre à rester debout en haut d’une colline, en armure de cuivre mouillée, et à brailler : « Tous les dieux sont des salauds. »"
"Le soleil se leva lentement comme s''il doutait de l'utilité de cet effort"
NB: A noter que ce n'est pas encore Patrick Couton à la traduction.