Cécile Coulon a sa place, à part, dans la littérature française contemporaine, par sa langue et par ses intrigues, singulières et fascinantes. La langue des choses cachées doit se lire d'un seul souffle, pour en capter l'étrange et intemporelle atmosphère mais aussi, peut-être, pour éviter d'en voir les coutures et ses divers ingrédients, assemblés pour subjuguer et prendre dans ses rets, tout en laissant infuser ses leçons morales. Le livre, qui est un conte, de la taille d'une novella, sait où il va et vise à nous surprendre, éventuellement à nous choquer et à évoquer par des non-dits assourdissants, des choses cachées et surtout monstrueuses, à travers un témoin et passeur, au pouvoir de guérir ou de martyriser les êtres, pas tout à fait démiurge, mais pas loin. L'intérêt de ce caractère central, désigné comme le "fils" dans le roman, réside dans son caractère d'apprenti, de sorcier pas encore fini, car jeune et à peine sorti des jupes de la "mère", qui fut toute-puissante, redoutée et à l'occasion, sans pitié. Mais le propos de Cécile Coulon n'est pas d'approfondir la psychologie de son héros en construction, elle n'en a pas le temps sur une aussi courte distance, mais de nous confronter à la violence séculaire des hommes envers les femmes, cette atroce relation de maître à esclave, qui s'effrite enfin, et dont l'évolution tient aussi à la prise de conscience d'une nouvelle génération d'hommes dont le "fils" représente bien évidemment le symbole. Un sujet dans l'air du temps, donc, qui ne se camoufle pas mais s'exprime, avec une virtuosité indéniable, en un récit qui évolue entre réalisme magique, fantastique et horreur. Même si l'on a préféré certains des livres précédents de Cécile Coulon, moins agressifs et dont les messages n'étaient pas aussi lisibles malgré la brume de leur mise en scène, La langue des choses cachées (qui se situe très loin du sublime L'homme qui savait la langue des serpents d'Andrus Kivirhäk), par son sinueux cheminement et son style raffiné, passionne le temps de sa lecture même si sa trace restera peut-être moins marquée que les romans de l'autrice qui l'ont précédé.