C’est le fait que tout peut être prévu, j’ai su la fin dès la moitié du texte, c’est ça qui marche. Dès la didascalie à l'entrée de l'enseignant, on nous apprend quel tournant la pièce va prendre, on sait que le professeur va accélérer son allure, se faire de plus en plus ferme, alors qu'au début de la pièce il est lent et calme. On sait que la jeune élève, elle, plutôt confiante et active au début, se renfermera sur elle-même, devenant timide au possible. Il ne s’agit pas là de trouver quelque originalité à l’action de la pièce, aux scènes succinctes, aux retournements de situation. Il faut trouver, et pour cela il faut avoir cherché, dans les mots ce qui fonctionne. Et pourquoi en entamant cette lecture, tous mes préjudices, toutes mes attentes qui restaient là, tapies dans l’ombre, ont été confrontées à elles-même, à tout ce que j’avais exactement imaginé du théâtre de l’absurde ? Parce qu’il ne s’agit pas de s’arrêter là, aux enchaînements de mots et de paroles, pendant les dialogues, qui ne font pas vraiment sens, il faut trouver autre chose, le vrai dans le faux, dans l’exagéré.
C’est pour nous seulement que les mots des personnages, ce qui leur passe par la tête, sont étranges. Pour eux, dans leur propre monde, ils ne remettent jamais en question leurs actions ou leurs acquis. Dans Oh les beaux jours de Beckett, on s'en pose, nous lecteurs, des questions, mais jamais Winnie et Willie ne s'étonnent de leurs mots, de leurs vies. C'est d'une normalité écrasante, c'est ça qui nous interroge, c'est ça qui est absurde.
Alors, La Leçon fut une découverte presque autant qu'elle m'a confortée dans mes aprioris. Il ne me semble pas vraiment intéressant ici, de traiter du thème même de la pièce qui, assez transparent, marquera chacun, assez clairement à la lecture : une élève de dix-huit ans d'un niveau médiocre (elle a retenu, sans comprendre, chaque résultat de chaque somme imaginable mais ne peut pas faire une soustraction), prend des cours chez un professeur qui, obnubilé par ses propres expériences et son génie qu'il revendique, est de plus en plus frustré par son élève.
Pourquoi y ai-je vu, encore une fois, comme dans Lost in Translation de Coppola, une réelle importance de la génération. Peut-être suis-je dans ma phase de l’adolescente rebelle qui, exaspérée par ses parents, voit dans l’écart de génération un sérieux décalage qui explique tous les maux de notre époque. Mais en même temps, je ne pense pas du tout que cela soit le cas, je pense plutôt que, dans le regard qu’un professeur plus âgé pose sur des élèves enfermés dans un monde et un système éducatif qui a appris à chacun, par des codes, à apprendre par cœur et à réciter, à tout recracher, on y voit ce que Ionesco écrit dans sa pièce. En même temps, cela l’exaspère de voir que son élève n’a pas reçu les fondements pour apprendre, pour comprendre mais il ne compte pas pour autant les lui donner et attend d’elle tout ce qu’elle n’a pas. Et par cette manière d’insister, de forcer, lui faire intégrer plutôt que lui faire comprendre, il en désespère, il devient enragé, il ne lâche plus l’affaire.
Et elle en a mal aux dents, et il insiste, et ce jeu, en se renvoyant la balle perpétuellement comme un duo d’animaux, qui n’ont pas la parole, qui n’en connaissent rien à la communication est fabuleux.
J’irais même au-delà de ce que j’ai dit plus haut, ce qui marche dans la pièce ce n’est pas les dialogues, ce n’est pas l’action, ce n’est pas l’humour, ce n’est pas captivant, c’est tout le cheminement qui est intéressant. C’est le processus en lui-même qui m’a vraiment marqué, le changement radical de chacun. C’est comme si Ionesco avait écrit avec des inconnues, avec de réels “x” dans les dialogues pour que le tout soit à nous de réécrire et de comprendre. C’est ainsi, que pour moi il faut chercher dans les mots, il faut les trouver et les remanier. Je ne sais exactement avec quoi, mais pour moi, ils ont fait du sens et La Leçon a ouvert quelque chose.
A chaque personne à qui j’ai partagé ma lecture je leur ai dit les mêmes mots : “Je ne sais pas ce qu’est cette pièce, de quoi elle est faite, pourquoi je l’ai tant aimée. Mais il y a une partie de moi, absurde, qui ne trouve jamais de réponse qui, ne serait-ce qu’un peu, à été satisfaite, qui a trouvé une réponse”.
Un des meilleurs moyens pour remplir cette petite partie en vous : lisez, et cela prendra du sens.