La Lenteur
7.3
La Lenteur

livre de Milan Kundera (1995)

Des récits qui se croisent, loufoques et comiques, ironiques, avec en échos une chanson de geste. Un réalisme fou et un univers merveilleux qui se mélangent. Une théorie de notre époque sur les "danseurs" mis sur le devant de la scène. Bref un livre sur l'art de la mise en scène, des histoires qu'on se raconte, aux autres et à soi, et qu'on projette sur les autres.

P12 :

Pourquoi le plaisir de la lenteur a-t-il disparu ? Ah, où sont-ils les flâneurs d'antan ? Où sont-ils, ces héros fénéants des chansons populaires, ces vagabonds qui traînent d'un moulin à l'autre et dorment à la belle étoile ? Ont-ils disparu avec les chemins champêtres, avec les prairies et les clairières, avec la nature ? Un proverbe tchèque définit leur douce oisiveté par une métaphore : ils contemplent les fenêtres du bon Dieu. Celui qui contemple les fenêtres du bon Dieu ne s'ennuie pas ; il est heureux. Dans notre monde, l'oisiveté s'est transformée en désoeuvrement, ce qui est tout autre chose : le désoeuvré est frustré, s'ennuie, est à la recherche constante du mouvement qui lui manque.

P.48

Pourquoi lui a-t-elle raconté qu'elle n'avait pas la clé ? Pourquoi ne lui a-t-elle pas appris tout de suite qu'on ne ferme plus le pavillon ? Tout est arrangé, fabriqué, artificiel, tout est mis en scène, rien n'est franc, ou, pour le dire autrement, tout est art ; en ce cas : art de prolonger le suspense, encore mieux : art de se tenir le plus longuement possible en état d'excitation.
Il y a un lien secret entre la lenteur et la mémoire, entre la vitesse et l'oubli.

P.112

Voilà en quoi les courtisans de l'Actualité se trompent. Ils ne savent pas que les situations que l'Histoire met en scène ne sont éclairées que pendant les toutes premières minutes. Aucun évènement n'est actuel dans toute sa durée, mais seulement pendant un laps de temps très bref, au tout début. (...) La façon dont on raconte l'Histoire contemporaine ressemble a un grand concert où l'on présenterait d'affilée les cent trente huit opus de Beethoven mais en jouant seulement les huit premières mesures de chacun d'eux. Si on refait le même concert dans dix ans, on ne jouerait, de chaque pièce, que la seule première note, donc cent trente-huit notes pendant tout le concert, présentée comme une seule mélodie. Et dans vingt ans, toute la musique de Beethoven se résumerait en une seule très longue note aiguë qui ressemblerait à celle, infinie et très haute, qu'il a entendue le premier jour de sa surdité.

P.160

le degrés de la vitesse est directement proportionnel à l'intensité de l'oubli. De cette équation on peut déduire divers corollaires, par exemple celui-ci : notre époque s'adonne au démon de la vitesse et c'est pour cette raison qu'elle s'oublie si facilement elle-même. Or je préfère inverser cette affirmation et dire : notre époque est obsédée par le désir d'oubli et c'est afin de combler ce désir qu'elle s'adonne au démon de la vitesse ; elle accélère le pas parce qu'elle veut nous faire comprendre qu'elle ne souhaite plus qu'on se souvienne d'elle ; qu'elle se sent lasse d'elle-même ; écoeurée d'elle-même ; qu'elle veut souffler la petite flamme tremblante de la mémoire.
luludelalune
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le 23 avr. 2023

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