Il ne payait pas de mine, ce petit bouquin que tu tenais à me donner, dans lequel tu as même écrit la date et signé pour que je me souvienne qu'il venait de toi. Comme si je pouvais oublier qu'il venait de toi. C'est marrant, c'est comme si tu avais su qu'il me plairait. Ce n'est pourtant pas facile d'offrir un livre, je dirais même que c'est très compliqué, même à quelqu'un que l'on connaît bien. Et en même temps avant de l'ouvrir je savais déjà que ça me plairait. Parce tu l'avais choisi pour moi, dans tous les livres que tu as lus et que tu as aimés.
J'aime les histoires simples de gens simples. Il n'y a pas plus émouvant que les gens ordinaires qui mènent leur vie du mieux qu'ils le peuvent, avec les hauts et les bas, les grands soleils qui se transforment en tempête dont les vagues finissent tout de même par nous bercer. Et dans cette lettre à Helga, dans cette réponse de Bjarni Gislason à l'amour de sa vie, amour inconditionnel et pourtant inassouvi – La faute à qui ? La faute à la vie, la faute aux deux qui n'ont su ni l'un ni l'autre faire un pas quand il aurait fallu – c'est en toute simplicité qu'il raconte son histoire. L'histoire somme toute assez banale d'un homme qui aime une femme qu'il ne devrait pas aimer.
Qu'est-ce qui diffère alors ? Il y a cette nostalgie que l'on sent tout au long du récit d'un homme qui a assez vécu, peut-être trop vécu, qui n'attend plus rien de cette vie qui ne lui a pas tant donné – ou peut-être n'a-t-il pas su prendre. Sa nostalgie est faite de regrets, de moments de bonheur trop courts auxquels il s'est toute sa vie raccroché, et comme il n'a personne à qui le raconter, ou peut-être personne qu'il ne juge digne de l'entendre, parce que la seule qui mérite ce récit c'est son Helga, c'est à elle qu'il écrit. Comme toutes ces histoires de vie déjà longue, elle comprend une multitude de détails que d'aucuns trouveront insignifiants, digressions inutiles, mais qui font le sel de ces récits-là. Et c'est un peu comme cette nostalgie qui te prend parfois, quand tu me racontes pêle-mêle des détails de ton enfance, de la guerre, de l'enfance de Papi, de son père qui était fabuleux et qui, comme tous les gens fabuleux, est parti trop tôt.
Il y a les regrets, un regret surtout. Et Bjarni tente de le justifier, essaie de convaincre Helga – ou est-ce lui-même ? - qu'il n'y avait pas d'autre issue, que peu importe le choix ils auraient été malheureux. Maigre consolation, peut-être ne vaut-il mieux pas, alors que le retour en arrière semble impossible, s'imaginer qu'un autre choix aurait pu mener à une meilleure histoire. Alors il décide de s'accrocher à ce qu'il sait ou imagine d'une autre vie qu'on lui a un jour proposée pour s'assurer que non, elle n'aurait pas convenu non plus. C'est l'histoire d'un homme de la terre qui choisira sa terre avant une femme, même s'il doit en souffrir à jamais.
C'est une belle histoire d'amour, pleine de tendresse et d'amertume, de courtes joies et de longs regrets, de détails qui font la poésie d'un récit qui aurait pu n'être rien de plus que l'histoire d'un homme qui aime une femme qu'il ne devrait pas aimer. Et pourtant on est embarqué, on vibre et on souffre avec Bjarni. Et bien sûr alors que je referme le livre je pense à toi, Nanou, parce que tu me l'as donné bien sûr, mais aussi parce qu'il y a peut-être un petit écho de toi, dans ce livre à la fois si doux et si marqué par le poids d'une décision que plus rien ne pourra changer.