L'an dernier, les éditions Mnémos publiait à nouveau les trois opus de La trilogie de la lune (La lune seule le sait, La lune n'est pas pour nous et La lune vous salue bien) en intégrale. Un très bel ouvrage dont la couverture n'est pas sans rappeler les couvertures des romans de Jules Verne chez Hetzel. C'est à cette occasion que j'ai fait l'acquisition de cette trilogie steampunk "à la française".
L'édition intégrale, en plus de sa fort jolie couverture, se fend d'une préface rédigée par Etienne Barillier (que l'on peut oser qualifier de spécialiste francophone du steampunk, entre autre choses) qui fait une véritable déclaration d'amour pour La lune seule le sait, qu'il a croisé par hasard dans les étals d'une librairie. Le genre de préface qui donne envie d'attaquer le roman dans la foulée...
La Lune seule le sait est un roman foisonnant à l'intrigue simple - quoi que saugrenue : Jules Verne part à la recherche de Louise Michel qui est retenue en détention dans un bagne situé ... sur la Lune.
"Les consignes préconisaient de mater les plus sévèrement les plus agités, afin de circonscrire la violence entre détenus. Le chef maton appréciait particulièrement cet aspect du règlement, qui lui permettait de donner libre cours à ses instincts les plus sauvages, avec la satisfaction du devoir accompli. L'administration pénitentiaire était à coup sûr une belle et bonne chose !"
J'avais quelque crainte en commençant ma lecture que ce ne soit trop burlesque pour me plaire. En fait, l'univers steampunk décrit par Johan Heliot est plus sérieux que ce à quoi je ne m'attendais. D'accord, il y a plein de machines bizarres et complètement imaginaires, d'accord des personnages historiques sont réutilisés de façon originale, d'accord il y a des extraterrestres au mode de vie idéalisé ... Mais au final, tout se tient plutôt bien et le résultat est très visuel. A tel point que je ne serais pas fâchée de voir ce petit bouquin adapté en bande dessinée (il faut avouer que le personnage de Napoléon a un côté très "méchant de comics") ou en film d'animation.
La description d'un univers si différent du nôtre prend pas mal de temps. Du coup, on peut avoir l'impression que l'intrigue se traine. Ce n'est pas contre jamais ennuyeux : l'écriture est très agréable, jamais lourde (heureusement, Johan Heliot nous a épargné les longues énumérations si chères à Jules Verne) et il y a toujours quelque chose de nouveau à découvrir. Tellement en fait qu'à un moment, je me suis "oui c'est bien tout ça, mais quand commence l'histoire ?"
"C'était grandiose. Aucun mot ne venait à l'esprit de l'écrivain. Quand il avait décrit la vie dans les hauts-fonds, dépeint les peuplades dispersées aux quatre coins des cinq continents, fait le portrait de monstres imaginaires, les mots s'étaient pressés sous sa plume. Un cortège sans fin d'adjectifs avait animé l'improbable, l'impensable, l'inconnu. Il avait certes puisé la plupart de ses connaissances dans les ouvrages de géographie et les encyclopédies, oudans les récits d'illustres voyageurs. Mais jamais il ne s'était trouvé dans une telle situation : muet ! Incapable d'exprimer le bouillonnement de sensations qui l'assaillait."
L'histoire est sans doute la faiblesse de ce roman : linéaire et plutôt convenue, ce n'est pas elle qui m'a transporté du début à la fin mais bien la découverte de cet univers mécanique et des Ishkiss, les entités extra-terrestres avec lesquels nos héros vont interagir. Mais aussi les douzaines de références que l'on rencontre en cours de lecture. Il est très amusant de faire le rapprochement entre les personnages réels devenus des personnages de fiction, les lieux visités, les faits racontés et la réalité historique.
On y parle aussi de politique, forcément : la tyrannie de Napoléon, la folie du pouvoir, le communisme, le socialisme, la Commune mais tout ceci m'a semblé trop caricatural pour en tirer un enseignement sérieux. La Lune seule le sait est un roman pour se divertir et en prendre plein les yeux et l'imagination pas pour se poser des questions existentielles et politiques. Quoique ... J'en ai quand même une : le mode de vie des Ishkiss, présentés par les communards comme étant une sorte d'idéal à atteindre, est-il vraiment si bien que ça ? Personnellement, j'ai quelques doutes.
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