Que le jour recommence et que le jour finisse...

A la lecture de son deuxième roman, le mystère Hawthorne s’épaissit. Diable d’écrivain qui semble sortir de nulle part, tout armé. Rien dans la littérature étasunienne de l’époque — Moby Dick n’est pas encore publié, mais Melville le lui dédiera, évidemment — ne semble annoncer une telle oeuvre. Même si thématiquement elle plonge ses racines dans la tourbe de la Nouvelle Angleterre, la façon que choisit l’auteur pour mener sa barque est d’une liberté jusque là jamais tentée. Partant d’un présupposé très romanesque — la déferlante du Mal au sein des générations — Hawthorne renverse la vapeur devant les yeux ébahis de son lecteur pour mettre en place un non roman d’une audace folle.


Il ne s’agira donc pas de retracer des péripéties familiales, des trahisons, des complots ou des coups de théâtre, non il s’agira de mettre en scène une écriture souveraine qui arrachera par ses seuls moyens techniques le droit de ne rien raconter, mais de tout dire. De la première à la dernière phrase, le roman devient un gigantesque plateau de jeu. Démiurge, le romancier ne cache rien, il se met en scène en train d’écrire, et de décrire, avec une joie et une fantaisie qui balaie tout sur son passage. Car le plaisir de l’écrivain prime tout (oh, ces trois pages délirantes passées à nous présenter une famille de poule, ses rêves, ses manies, ses déconvenues !), mais se doit de provoquer en retour le plaisir du lecteur-spectateur, devant qui les personnages sont mus comme de vaillantes petites marionnettes, qu’il s’agit d’observer, de titiller, de retourner, de faire danser plus encore que de comprendre. Les êtres humains sont ainsi faits, il faut les regarder toujours, les expliquer jamais !


Marionnettes ? Non, en réalité, ce n’est plus du théâtre, c’est quasiment l’invention du cinéma avec cinquante ans d’avance — et ce n’est pas un hasard si un des héros, très inspiré du romancier lui-même, est photographe. Hawthorne est un illusionniste à qui il suffit de se pencher sur des ombres pour les rendre vivantes, tant il sait fondre en une seule pâte ce qu’il voit, la façon dont il le voit, et comment il le retranscrit. Il est en léger retrait (qui a pour nom humour) parvenant à toujours garder la distance de celui qui raconte ce qu'il n'a pas vécu, mais qui vit ce qu'il veut raconter, et qui par là réussit à maitriser notre bourreau suprême : le Temps. Son roman est une ode au pur présent (l’image en mouvement), point focal incandescent né du passé et gros de l’avenir. Sa plume va si vite qu’elle n’écrit plus, elle filme ; dès lors, toutes les barrières sont abolies, toutes les conventions volent en éclats, et le miracle s’accomplit : la vie, entière et multiforme, rend les armes, et se fond entre les pages. Elle a trouvé son maître !

Chaiev
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Cet utilisateur l'a également ajouté à ses listes L'île déserte : les Étasuniens et On the row (2016)

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le 2 mars 2016

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