La Maison dans laquelle je me suis délicatement abîmée

Résumer La Maison dans laquelle en lui rendant justice n’est pas tâche aisée. La facilité voudrait qu’en quelques mots, on évoque un roman-fleuve initiatique, relatant les jeunes années d’enfants handicapés hauts-en-couleur dans un établissement spécialisé. Mais tirer seulement ces quelques fadasseries d’une œuvre aussi riche, multiple, étonnante, non, c’est injuste.


Je crois que le mot le mieux trouvé pour décrire l’unique roman de Mariam Pietrosyan est encore celui glissé par les sublimes et toujours fracassantes éditions Toussaint Louverture dans la page de garde : un refuge. Tout au long de ma lecture haletante, je n’ai cessé d’imaginer l’auteure, pendant dix ans, inlassablement revenir se promener dans la Maison, y ajouter une histoire, un personnage, une description. Je l’ai imaginée elle aussi, comme ces jeunes garçons et ces quelques jeunes filles, errer dans son œuvre comme eux dans leurs couloirs.


Les personnages de La Maison dans laquelle sont inoubliables, et le roman, ni la maison n’existeraient pas sans leur présence. Surnommés par leurs comparses par des sobriquets totémiques (Fumeur, Vautour, Lord, Sirène, l’Aveugle…), ils évoluent chacun dans l’un des six groupes d’enfants existants, chacun au folklore, aux coutumes, aux codes finement détaillés et sans cesse complexifiés. Cette micro-société hors de tout temps s’organise ainsi, poursuivant les marques que les promotions précédentes ont laissé, luttant contre le désœuvrement et l’enfermement à coup d’inventions loufoques, de rites fantasmagoriques, de dialogues cosmiques.


Ce qu’un adulte pourrait observer avec un regard bienveillant comme des jeux et des névroses d’enfants est raconté avec un tel sérieux, un tel tragique, sans se départir de légèreté et d’humour parfois, que le lecteur ne peut que tomber dans le piège, et vivre au premier degré le moindre sursaut dans leur quotidien. Mariam Pietrosyan ne nous prend pourtant pas toujours par la main. Des événements que tout autre roman considérerait comme majeurs, la mort par exemple, deviennent ici anecdotiques, jamais résolus, des détails qui ne peuvent rivaliser face au récit du rêve de Sphinx, ou de la collection d’objets trouvés de Tabaqui (ah, Tabaqui !).


En lisant ce roman, j’ai eu le sentiment de m’être tout à la fois baignée, noyée, débattue et reposée sur le dos, le nez au ciel, dans un lac isolé de montagne. J’aurais aimé mieux comprendre la discrète mais essentielle, la délibérément confuse face magique de la narration. Mais même si je l’avais mieux cernée, je ne me lancerais pas pour autant dans une explication de texte autour de pourquoi et comment La Maison dans laquelle parle au fond de la difficulté du passage à l’âge adulte. C’est une lecture bonheur qui s’immisce dans un présent pur, avec une humanité aux sens ultra aiguisés, l’histoire racontée à chaque page se suffit à elle-même sans cortège métatextuel.


Lisez-le, vous verrez.

Noah_Lyn
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le 11 sept. 2017

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Noah_Lyn

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