S'arrêter à la forme que prend La maison des feuilles, c'est tomber dans le piège que tend Danielewski en glissant tout à la fois dans le vulgaire et dans le m'as-tu-vu. Qu'il ait donné à son texte la forme que prend son récit est dans le fond accessoire : c'est un miroir aux alouettes pour séduire facilement le lecteur inattentif, et les quelques acrobaties d'un Raymond Quenaud en moyenne forme suffiront à convaincre que le procédé lui-même n'est pas nouveau. Non, ce qui compte, ce n'est pas la façon dont les mots sont disposés dans la page, mais la façon dont la fiction est disposée dans la fiction.


En proposant une œuvre de fiction consacrée à l'étude en amateur de l'analyse universitaire d'une œuvre de fiction (donc doublement fictionnelle, voire même triplement quand on garde à l'esprit que Johnny a lui-même conscience du caractère fictif du Navidson Record, et ce au sein même de la fiction!), Danielewski triche, et il le sait. Son labyrinthe n'a pas d'autre fonction que sa futilité, et sa futilité n'a pas d'autre fonction que de perdre le lecteur au milieu de fausses pistes tout en se moquant de ceux qui espéreraient pouvoir l'analyser comme une œuvre jouant sur le non-sens.


Jeu, double jeu, triple jeu, La maison des feuilles n'est pas pour rien l'une des œuvres de proue du postmodernisme triomphant : à la recherche désespérée de sens – qui prend parfois un formidable ton comique, notamment durant les interviews de personnalités exprimant leurs vues contradictoires sur le Navidson Record – Danielewski répond par un non-sens aussi frustrant que génial, car contredisant notre désir profond de voir dans les symboles qui parsèment l’œuvre autant de signes qui nous touchent personnellement. Le statut de l’œuvre artistique comme chose indescriptible dépourvue de sens ou de volonté propre, voilà le résultat atteint par La Maison des feuilles au bout de ses six cent pages et quelques de mensonges élaborés, mécanique de destruction aussi cruelle que brillante. L'époque est aux destructeurs de rêves, et Danielewski en est un de la plus belle espèce. Il est de ce genre de salopards face auxquels je ne peux que m'incliner tout en grinçant des dents.


S'il n'y avait cependant dans le tout qu'une seule chose pour retenir définitivement mon adhésion, ce serait sans doute un personnage intouchable car déjà disparu, un homme au centre de tout, bavard au possible mais pourtant invisible car mort dès la première ligne du récit : Zampanò, avec sa prose hypertrophiée, nous ferait presque oublier que le Navidson Record n'existe pas et que La maison des feuilles, sa synthèse au ton universitaire, n'est qu'une gigantesque supercherie. Plus qu'une maison plus grande à l'intérieur qu'à l'extérieur, le plus beau labyrinthe à construire reste encore celui d'un pavé littéraire dont les pages noircies forment un dédale condamné à s'effondrer sur lui-même. L'art de la littérature serait-il donc, en fin de compte, celui de construire la plus belle cathédrale du monde pour la détruire la seconde qui suit ? Bon travail, monsieur Danielewski.

Tezuka
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le 29 juil. 2015

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