OLNI : Objet Littéraire Non Identifié.
Croyez-moi : jamais vous ne lirez roman plus étrange que celui-ci.
Il suffit de feuilleter ce gros pavé pour comprendre, chaque page paraît totalement différente que la précédente : la police utilisée change du tout au tout, la mise en page s'autorise des excentricités incroyables (une page ne contiendra qu'un seul mot, une note en bas de page durera pendant quatre ou cinq pages, des textes à l'envers, penchés, dans tous les sens, le mot maison systématiquement écrit en bleu, etc.). Feuilletez-le, vous comprendrez. Un premier contact qui peut parfois laisser sceptique. En laissant quelques amis feuilleter le livre, j'ai pu constater souvent leur étonnement : est-ce un roman ? à quoi sert cette mise en page totalement folle ? Et même des "c'est de la merde ton truc" de la part d'incultes totalement fermés. Bref.
Avant d'être intéresse par la forme, c'est surtout le fond du livre qui m'a attiré. Oui, il y a un scénario. Et il plaira aux amateurs de Lovecraft, King, K.Dick et de la littérature fantastique en général. Entre autres, puisque c'est un livre tellement riche que quelques-uns des multiples thèmes abordés vous intéresseront forcément. Accrochez-vous, je vais tâcher de vous expliquer rapidement de quoi il en retourne.
Johnny Errand, personnage principal, erratique, perdu, à la vie dénuée de sens, en somme un de ces héros qu'on retrouve chez Ellis ou Palahniuk, retrouve dans l'appartement d'un vieil aveugle récemment décédé, Zamparo, un manuscrit.
Bien. Ce manuscrit est le compte-rendu d'un film, The Navidson Record, et plus que ça, une étude académique de ce film, avec critique, étude de plans, résumé.
Bien. The Navidson Record est un film, authentique ou non, personne ne le sait, qui relate les mésaventures de Navidson, célèbre photographe, dans sa nouvelle maison. Une bien étrange maison, dans laquelle Navidson remarque vite, après quelques mesures, qu'elle est très légèrement plus grande à l'intérieur qu'à l'extérieur. Il filme tout. Bien vite, il découvre de nouvelles pièces. Une porte apparaît ici, une autre là, qui mène vers d'interminables couloirs et pièces absolument gigantesques, de plusieurs kilomètres.
Il filme tout, donc, et ce film est analysé par Zamparo, qui y ajoute des notes, et en fait un manuscrit fidèle, et en somme une espèce de roman à la forme bien étrange. Et Johnny Errand à son tour, lit ce manuscrit, y ajoute des annotations sur ses enquêtes, son opinion quant au manuscrit, mais aussi sa vie, ses problèmes, en faisant une seconde histoire.
Un film dans un livre, dans un livre, dans un livre que vous tenez entre les mains.
Voilà donc pour le scénario. Le livre contient aussi, à la fin, des lettres de la mère de Errand, en hôpital psychiatrique, de ses doutes et ses peurs, laissant là encore une fois à l'auteur de libérer toute sa folie créatrice, des photos et schémas.
Le but du livre, c'est de perdre le lecteur comme Navidson se perd dans sa maison. Le début du roman est plutôt calme, intriguant, et bien vite on croule sous les annotations diverses qui courent sur plusieurs pages, traitent de sujets divers et variés (Danielewski est un véritable érudit, et à mis douze années à rédiger ce monstre), tout devient fouillis, il faut parfois lire une note, puis revenir d'une dizaine de pages en arrière pour retourner au texte principal, lui penché sur le côté, pour relire une note, à l'envers cette fois, qui se constitue d'une liste interminable de films obscurs... C'est une lecture difficile, déroutante, mais passionnante, vraiment.
Le travail de l'auteur est stupéfiant. Et il s'autorise une véritable mise en scène : lorsque Navidson s'avance dans un minuscule couloir, le texte n'occupera que deux malheureuses lignes au milieu de la page, etc. On sent bien l'influence de son père, réalisateur. D'autres fois, on se perd dans des passages complètement absurdes et révélateurs de la folie du héros, Johnny Errand. On s'ennuie aussi devant les digressions indigestes de Zamparo.
Jamais un roman ne s'est à la fois aussi bien accordé sur le fond et sur la forme. Labyrinthique, complètement fou, il est à mon sens indispensable à qui aime les expérimentations, mais aussi les romans fantastiques, les thrillers, le cinéma, la culture d'une manière générale. Un chef-d'œuvre auquel je mettrais bien la note maximale, mais peut-être sa fin m'y empêche, et la relative complexité de l'ensemble. Beaucoup détesteront, beaucoup lâcheront après une centaine de pages, c'est certain.