Ce livre ayant amicalement entamé ma santé mentale, il faut que je partage mon interprétation 🫠


"Ceci n'est pas pour vous". La première phrase du livre, avertissement plutôt honnête. Un livre agencé de telle sorte que le lecteur finit par créer son propre labyrinthe mental. Le procédé utilisé est la mise en abîme permanente à plusieurs niveaux, qui bouclent sur eux-mêmes : la maison = le livre réel = la folie de Johnny = les "sous-fictions" contenues dans l'oeuvre = la maison...


Ce mille-feuilles est là pour déclencher notre instinct parano de lecteur. Très vite, tels les protagonistes principaux, nous allons naturellement explorer notre propre maison des feuilles. Tel Johnny ou Navidson, nous sommes alors confrontés au minotaure qui vit au plus profond des abysses de notre labyrinthe : l'angoisse existentielle, exercice pénible mais que cet ouvrage rend grisant d'efficacité introspective. Car oui, la maison décrite dans le livre offre une représentation tantôt du désir pulsionnel, tantôt de notre peur du néant.

Ce qui me fait parler de désir, c'est le fait que la maison représente ce que Navidson désire plus que tout : une vie d'aventure. Jusqu'à la fin où, Navidson ayant atteint littéralement le bout de l'aventure et de sa maison, il réalise qu'il aime réellement Karen et qu'être à ses côtés est devenu le principal "but" dans son existence. La maison lui donne alors ce qu'il veut : seul un Navidson estropié peut enfin aspirer à construire un avenir où la fuite n'est pas une option. En cette fin, il résoud ses pulsions de morts.

Ce qui me fait parler de néant de l'autre côté, c'est que le "monstre" du livre est universel :

- si tu es Navidson, le monstre est la peur d'être attiré par le néant - le risque de se perdre dans la contemplation de l'abîme comme dirait ce bon vieux Nietzsche.

- Si tu est Johnny, au contraire tu as la peur d'affronter vide existentiel que tes traumas ont participé à construire...

Ces deux extrêmes entraînent des pulsions destructrices chez l'homme, là où la femmes - telles que vues par l'auteur et telles que le personnage de Karen les représente - seraient moins tiraillées et corrompues par ce vide existentiel. Dans ce roman, ce sont les hommes les pêcheurs originels (transcrivez-ça en terme de psychanalyse plutôt que bibliques, si ça fait plus sens pour vous).


Un dernier niveau de lecture : la critique du rationalisme. L'artifice principal utilisé par l'auteur pour créer de toutes pièces un labyrinthe est un étalage d'etudes universitaires à propos d'un phénomène qui n'existe pas réellement. Autrement dit, beaucoup de bruit pour rien. C'est la forme que prend la compilation de Zampano et qui cause sa perte : une quête rappellant celle de l'humanité, une recherche de la soit-disant "vérité", l'humanité qui tente par tous les moyens de combattre le néant et l'infini, l'expliquant désespérément par la Science et l'exploration. Science qui, ne se révélant jamais réellement salutaire face à l'immensité, replace inexorablement l'humain face à sa vertigineuse sensation d'un inconnu sans cesse étendu. Car l'univers n'est pas notre maison. Ceci n'est pas pour vous.

V_B
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V B

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