Dans ce roman, Jésus et Marie-Madeleine ont eu un enfant, qui a voulu rejoindre une terre promise, aidé de nombreux compagnons, dont une nommée Namah. Celle-ci a fait don de son corps à des étrangers, afin que la petite troupe puisse continuer sa quête et trouver leur eldorado. Des siècles après, le culte de Namah est ancré dans les moeurs, et la prostitution qui en découle est banalisée, et même glorifiée.
En Terre d’Ange existent 13 maisons de plaisir, qui prône chacune des valeurs différentes: Alysse (modestie), Baume (compassion), Bryone (jeu d’argent), Camélia (perfection), Cereus (beauté), Dahlia (fierté), Eglantine (art), Gentiane (interprétation des rêves), Héliotrope (romantisme), Jasmin (exotisme), Mandragore (domination), Valériane (soumission), Orchis (rire). Les jeunes adultes au service des maisons doivent servir Namah jusqu’à qu’un tatouage illustrant leur parcours soit achevé. Pour cela, c’est leurs clients qui, en donnant de l’argent, leur permet d’achever leur marque.
L’érotisme est donc clairement présent dans cette oeuvre, mais il est évoqué sans pudibonderie ou voyeurisme gênant. Il s’agit d’une toile de fond permettant d’affiner l’univers, sans être le thème principal du roman.
C’est un monde parfaitement maîtrisé que nous livre Jacqueline CAREY. La Terre d’Ange a ses mythes (Namah), ses traditions (les 13 maisons) et même un gouvernement. Lorsque que l’héroïne quitte la maison de Cereus pour rejoindre la maison du noble Anafiel Delaunay, elle se voit entraînée dans des quêtes de pouvoirs et d’argent.
La comparaison avec « Games of Thrones » est facile, presque trop. J’ai lu la saga de MARTIN jusqu’au 9ème tome en poche, et pour moi les histoires du clan Stark ont des défauts que n’ont pas la trilogie de CAREY. L’intrigue est plus fluide, et si dans les 2 oeuvres on peut reprocher certaines longueurs, elles me semblent moins lassantes dans Kushiel. Certes, la première partie de l’ouvrage, consacrée à l’apprentissage de Phèdre, ne comporte que peu d’actions. Mais cette attente est largement récompensée par la suite. Le reste du roman n’est que duels, trahisons et histoires d’amour troubles… Et c’est passionnant.
L’univers, vous l’aurez compris, est extrêmement élaboré et complexe. On en vient à se perdre quelque peu dans les méandres de la généalogie de Terre d’Ange. Je ne compte plus les fois où j’ai du interrompre ma lecture pour me référer à la classification des personnages située dans le roman, bienheureuse idée de l’auteure pour que ses lecteurs ne deviennent pas migraineux à force de chercher les liens entre Ysandre et Mélisande. Le vocabulaire est très recherché, CAREY joue avec les mots comme avec des lames et c’est superbe.
Les personnages sont tous plus merveilleux les uns que les autres, et aucun ne tombe dan le cliché, ce qui est assez exceptionnel pour être souligné. Je ne saurais dire lequel j’ai préféré… Est-ce Hyacinthe, le poétique Prince des Voyageurs; Mélisande la si fascinante « méchante » (et pour moi, l’une des meilleures « bad guy » au féminin jamais inventée); ou Anafiel Delauney, le mentor aux troubles secrets… Tous sans exception sont intéressants, leur psychologie soigneusement travaillée… et que dire du choix des prénoms, tous sublimes!
L’ambiance du livre est sombre et on sent qu’on avance inéluctablement vers une tragédie. Loin d’un roman de fantasy guilleret, CAREY explore la sournoiserie de l’âme humaine jusqu’à ses plus bas instincts (sexe, pouvoir…) et le lecteur en devient fébrile, dans l’attente d’un triste événement qui ne manquera pas d’arriver. Sur son site, Jacqueline CAREY cite comme référence « Where the Wild Roses Grow » de Nick Cave… pour vous donner une idée de l’inspiration, voici un extrait traduit des paroles de la chanson:
« Dès le premier jour que je l’ai vue, je savais qu’elle était faite pour moi. Elle me fixa des yeux, et sourit…Car ses lèvres étaient de la même couleur que les roses Qui poussaient le long de la rivière, sanglantes et sauvages »
Ce n’est donc pas un hasard si Phèdre se fait tatouer, marque sanglante gravée à jamais, une rose épineuse pour marquer la fin des années dues à Kushiel…
Pour conclure, c’est un livre extraordinaire et l’un de mes coups de coeur que je vous conseille ici. Un livre que les amateurs de grandes épopées ne pourront qu’adorer!
« Un petit peu de vérité relève le mensonge comme le sel la nourriture. »
« Mais il y a une chose dont je suis sûre: lorsque l’amour m’a rejetée, c’est la cruauté qui m’a prise en pitié »