Fragment :
J'ai beau essayer, je ne parviens pas à regagner mon enveloppe originelle, et moins encore à m'installer à l'aise dans mon ancien moi ; le désordre y est bien trop grand; des choses ont été déplacées, la lampe est noire et morte, des bouts de mon passé jonchent le sol.
Avant-goût :
Le 9 mai 1930, Hermann Karlovitch, homme d’affaires allemand d’origine vraisemblablement russe, se rend à Prague pour un voyage professionnel concernant son activité, la fabrication du chocolat. L’héros-narrateur est d’une nature mégalomane au point de mépriser sa femme Lydia qu’il tolère uniquement parce que celle-ci adule sa personne. Mythomane affirmé, il mène en bateau tant sa femme que son beau-frère Ardalion qu’il dépeint comme l’archétype de l’artiste tourmenté, maudit et par-dessus tout raté, pour atteindre ses vils desseins. Désireux de vendre ses denrées sur le marché du chocolat tchécoslovaque, Hermann fixa un rendez-vous avec un homme dont la maison frôle la faillite. Seule l’absence de cet inconnu semble présente à ses côtés, au lieu et à l’heure de ladite la rencontre. Pour tuer le temps d’attente, Hermann arpente avidement les environs en guise de première digression parsemant tout le reste du récit.
Cette escapade est à l’origine de l’élément initiateur de l’intrigue puisque Hermann y décèle son propre reflet sur le visage d’un vagabond étranger se prénommant Félix. Cette rencontre surréaliste désoriente tant Hermann qu’elle sera déterminante dans le récit. Qui est-ce ? Un sosie ? Une pâle imitation ou le modèle original ? Qui doublera qui ? Quelle est la méprise ?
Mon opinion :
Après l’élévation déclenchée par le chef-d’oeuvre « Lolita » de Nabokov suivi de la descente aux enfers engendrée par le recueil de nouvelles « Natacha » du même écrivain, c’est avec l’empressement de me débarrasser de cette note amère que j’ai lu « La méprise ». La méprise est une oeuvre hors normes dépeintes avec la plume enivrante et indomptable fidèle à Nabokov. Le tour de force de ce roman est l’insertion de l’introspection du narrateur entre les lignes du récit dit principale. Hermann Karlovitch opère maintes et maintes digressions originaires de la bataille livré entre sa mémoire, la réalité et ses tendances mythomanes, dans l’énonciation des faits. Si d’une part, ces parenthèses d’apparences superflues sont cruciales pour cerner le personnage, d’autre part certaines rendent le narration décousue à l’excès et fait perdre pied au lecteur. Á travers Hermann, l’auteur s’adresse à de multiples reprises aux lecteurs tantôt pris par la main tantôt malmenés, les bousculant intelligemment de leurs zones de confort. Ces éléments maintiennent le lecteur à l’affut, néanmoins, la fin du livre tire vainement le récit en longueur jusqu’à la lassitude redoutée. Á l’instar de l’art, l’intérêt de cette lecture ne réside pas exclusivement dans le plaisir mais dans la confusion et la réflexion, c’est sa force comme sa faiblesse. « La Méprise » suffit à réduire à néant la désillusion infligée par « Natacha » sans pour autant arriver à la cheville de « Lolita », son apport primordial est la stimulation de l’intérêt pour le reste de l’oeuvre du grand Vladimir Nabokov.