On pourrait sans doute établir quelques critères pour décider si un récit de nature writing est réussi ou non. Ce serait assez simple : si on se surprend à retenir sa respiration pour ne pas effrayer la mésange huppée qui s’approche, si on tend l’oreille pour écouter dans le silence de la nuit parisienne le chant du torrent sous la glace, si on ne ressent à aucun moment le besoin de rompre le charme pour chercher sur Google images ce qui est étranger mais pourtant parfaitement donné à voir, alors la réussite est totale.
The living mountain coche toutes les cases et bien plus : en plus d’être un voyage exaltant dans les paysages heurtés des Cairngorms, montagnes du nord de l’Ecosse que Nan Shepherd a parcourues en long et en large toute sa vie, il s’agit d’une véritable école du regard et des sens, d’un récit dont la construction soignée, qui conduit son lecteur du minéral au végétal puis à l’animal et enfin à l’humain, a toute la puissance magique d’une Création en miniature. Le genre de récit qu’on pourra prendre plaisir à arpenter à nouveau, dans une direction puis dans l’autre, pour y arracher quelques morceaux de la sagesse de Nan Shepherd, et pour continuer à tenter de saisir tout ce que la montagne garde pour elle ou en elle, ce qui échappe au regard en se dérobant dans le brouillard, et ce qui échappe au langage même.