La Mort à Venise, c'est du Balzac sans défaut, ni qualité. Même méthode, même présence du narrateur, descriptions des lieux, des places, des personnages, même importance de la psychologie, même volonté de digression. On ne peut que reconnaître l'extraordinaire qualité du flot narrative, et sa vacuité. Véritablement c'est de la musique à la place des mots, et de la musique qui ne donne rien : une hypnose creuse de cent pages.
Dans une Venise ultra-romantique, où c'en est introduit la part noire, on assiste à la passion pour un jeune adolescent d'un écrivain bourgeois qui découvre avoir une bite et des désirs pédérastes. Ok. Et? Bah c'est tout. Venise encore et toujours ville de l'amour, même de l'amour vu comme pas respectable.
Car Mann est, si j'en juge par ce texte, un bourgeois cosmopolite, un Homme moral et humaniste : en bref un idiot qui a honte de la passion et de la puissance, a peur de se salir, et ne supporte pas qu'on touche à ses cases. Il n'a pas le courage de ses désirs, ni la conscience de sa médiocrité. Il est pris dans ses idées reçues, dans son besoin d'être un honnête homme, plutôt que d'être un homme honnête. Un décadent exactement telle que l'a décrit Nietzsche. Les petites échappés pseudo-philosophiques du texte ne sont que ridicules, et les lyriques d'étranges palimpsestes des poètes grecs antiques que rien ne justifie.
Incroyable quand même : d'avoir sous la main un sujet puissant, des caractères intéressants, une situation énorme de potentiel, et d'arriver à ça. Que la dégradation matérielle de la ville apparaisse, c'est dans un éclair et Mann est incapable d'en faire quoique ce soit : même pas de la comprendre. La misère pose un seul problème : elle empêche ce cosmopolite de se toucher sur Venise. Et au final que de lieux communs, de clichés, la ville est résumée à ces images que tout le monde déjà à l'époque connaissait. Le plus drôle étant que l'hôtel et la plage occupent plus de place que Venise. Cela aurait pu s'appeler la Mort à l'Hotel.
Mann avait la lucidité de ce savoir décadent, je crains qu'il se complaisait assez salement dans ce rôle.