La Mort à Venise
7.3
La Mort à Venise

livre de Thomas Mann (1912)


La pâleur, la grâce sévère de son visage, encadré de boucles blondes comme le miel, son nez droit, une bouche aimable, une gravité charmante, tout cela faisait songer à la statuaire grecque de la grande époque, et malgré leur perfection formelle les traits avaient un charme si personnel, si unique, qu'Aschenbach ne se souvenait d'avoir vu ni dans la nature, ni dans les beaux-arts, une si parfaite réussite.



Tadzio, bel éphèbe polonais à la grâce divine, va bouleverser l'homme vieillissant, Gustav Von Aschenbach l'artiste au nom de cendres, saisi au crépuscule de son existence par une admiration esthétique qui tourne vite à l'obsession.
Fasciné par cette idéale perfection l'écrivain découvre dans l'adolescent "l'essence du beau, la forme en tant que pensée divine, l'unique et pure image qui vit dans l'esprit" et c'est dans une Venise décrépite au parfum mortifère qu'il se lance, éperdu et perdu, à la poursuite de son rêve.


Tadzio, jeune dieu grec s'ébattant sur la plage ou nonchalamment allongé sur le sable, Tadzio juvénile et radieux dans son costume marin à col ouvert, parcourant d'un pas léger les ruelles d'une ville au charme maléfique rongée par le choléra, Tadzio illuminant de sa seule présence l'Hôtel des Bains, figure solaire si éblouissante que le vieil homme ne peut en supporter l'éclat :



Il était si ému qu'il fut forcé de fuir la lumière de la terrasse et
du parterre de l'hôtel et se dirigea précipitamment du côté opposé



Pour la première fois de sa vie respectable et respectée, l'écrivain se laisse envahir par ses émotions, des forces dionysiaques qu'il ne contrôle pas, submergé par un désir qu'il appelle de tout son corps mais refuse de toute son âme, combat perdu d'avance par l'homme, qui dans la gondole noire, tel celui qui traversait le Styx sur la barque de Charon, s'apprête à rejoindre le royaume des morts.


Une relation qui se joue à distance entre ces deux représentations de l'homme, l'un à l'aube de sa vie, l'autre au crépuscule de la sienne, jeux de regards et de miroirs où l'adolescent, mutique et charmeur, se riant avec malice de l'écrivain pommadé et assidu, se montre et se dérobe à son regard fiévreux, épuisant l'amoureux d'un autre âge dans les rues empestées de Venise.


"Où vais-je" pense le vieil homme, consterné, dans ses rares moments de répit où la raison reprend ses droits, et la honte le saisit alors devant les sentiments impurs qui l'assaillent face à la beauté même, une contemplation qui le pousse aux excès voire au ridicule, tandis qu'il s'abandonne aux mains expertes d'un coiffeur, débordant d'espoir devant le miracle qui s'accomplit :



plus bas, là où la peau était flasque, jaune et parcheminée, il voyait paraître un carmin léger; ses lèvres tout à l'heure exsangues s'arrondissaient, prenaient un ton framboise; les rides de ses joues, de la bouche, les pattes d'oie aux tempes disparaissaient sous la crème et l'eau de jouvence... Avec des battements de coeur, Aschenbach découvrait dans la glace un adolescent en fleur.



Mais derrière l'apparence éphémère et trompeuse, qu'est-il donc sinon un vieux beau fardé, clown livide et pathétique aux lèvres rougies et aux cheveux teints, courant désespérément après sa jeunesse dans une ultime tentative pour conjurer l'angoisse terrible du temps qui passe, face à cette vieillesse qu'il abhorre.
Magistrale méditation sur la beauté et le temps, lent voyage initiatique vers le désir et la mort, c'est d'abord le récit quasi autobiographique d'un combat que Thomas Mann mène et perd contre lui-même, contre ce qu'il refuse en lui, car nul ne reste intact face à ce qui nous envoûte : le désir, toujours porteur de désordre, ne se contrôle pas.


Passion folle et fatale que le vieil homme, bouffon peint et pitoyable, exprimera dans un dernier regard, ultime adieu à l'aimé, s'affalant mollement dans son transat avant de quitter la scène de la vie.



Il semblait à Aschenbach que le jeune psychagogue, pâle et digne d'amour lui souriait là-bas, lui montrait le large, que, détachant la main de sa hanche, il tendait le doigt vers le lointain, et prenant les devants, s'élançait comme une ombre dans le vide énorme et plein de promesses.


Créée

le 13 nov. 2013

Modifiée

le 14 nov. 2013

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Aurea

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