Première incursion dans l'œuvre de Laurent Gaudé, LA MORT DU ROI TSONGOR jouit d'une très belle réputation critique et publique. C'est pourquoi mon regard se dirige rapidement sur ce petit livre à la très belle couverture et au résumé aiguisant les envies de tragédie et d'épique.
"Il avait trouvé le lieu de sa mort. Il devait en être ainsi pour
chaque homme. Chacun avait une terre qui l'attendait. Une terre
d'adoption dans laquelle se fondre."
Et ça, il est certain que ce livre contient autant d'épique que de tragique. Dans un style incisif et sec, Gaudé parvient à dépeindre de véritable tableaux antiques où la morale, l'honneur, le devoir se confrontent tous à la bassesse humaine, l'égoïsme et la traîtrise. On peut également évoquer la cinématographie puissante qui se dégage des courts chapitres de cet ouvrage aux allures de fin du monde. Batailles sanguinolentes, visages larmoyants et autres cités gigantesques ont fait renaître en moi le désir de découvrir un monde inconnu. L'auteur aura usé d'une belle imagination pour évoquer des peuples lointains, des traditions crédibles et des dialogues qui fendent le cœur en deux. Toutefois, Gaudé fournira un peu trop son monde d'éléments si bien que l'on a l'impression que chaque idée qui lui passait par la tête, il la couchait par écrit. Malgré tout, on ne pourra en vouloir bien longtemps à un auteur d'étoffer son œuvre surtout qu'il parvient souvent à recentrer ses enjeux et les sentiments au cœur du récit.
"Le clan Tsongor était là. Réuni autour du père pour la dernière fois. Dans une épaisse odeur d'encens. Ils pleuraient sur la mort du
vieillard. Ils pleuraient sur la vie d'autrefois. Ils pleuraient sur
les combats à venir."
Les sentiments sont en effet extrêmement présents dans LA MORT DU ROI TSONGOR. Les liens familiaux, les liens amicaux, le déséquilibre entre la vision d'un roi bon et aimant et celle, destructrice, que peuvent avoir les perdants… Tous ces éléments amènent des situations d'une poésie écrasante de sincérité. Au détour d'un personnage mutique par excès de souffrance, d'un fils perdus sous le poids de l'aura de son père, d'une fille tiraillée et considérée comme objet, ont saisi un pan d'humanité entier. Cette humanité se voit exacerbée lors de confrontations au phrasée pleine de sens. Evocateur, LA MORT DU ROI TSONGOR ait terriblement touchant grâce à une prose pleine de style mais jamais lourde en raison du contexte dans lequel s'inscrit le récit. Un exercice de style réussit de la part de l'auteur. La honte et la défaite n'auront jamais été aussi belles, la guerre aussi barbare (une des limites du livre d'ailleurs : des batailles redondantes et des scènes parfois vainement explicites), la grandeur aussi rabaissée et l'humilité aussi magnifié.
"Souba poursuivait son chemin à travers le royaume. Et ces moments
d'errance qui, au début, lui faisaient peur, il apprenait à les aimer
de plus en plus. […] Des terres nouvelles défilaient devant lui. Il se
laissait bercer par le pas lent de sa mule. Heureux de n'avoir rien
d'autre à faire, dans ces instants, que de contempler le monde et se
laisser envahir par sa lumière."
Enfin, Gaudé encapsule dans cette tragédie d'une Afrique antique les obsessions de l'Homme et ses dérives. Que retiendra le monde de nous ? Nos actes pour sûr, notre moi le plus profond pour certains de nos proches, les conséquences de notre vie pour le reste. Et c'est là que LA MORT DU ROI TSONGOR touche peut-être le plus juste. Il parvient à concrétiser la peur du vide après notre existence, quelle qu'elle soit. Face à ce vide qui se présente à nous, comment abordons-nous la vie qui se présente ? La quête de Souba lui permettra de définir le sens de sa vie, l'indifférence que reçoit Samilia l'emmènera à mener la vie qu'elle veut, le serment de Katabolonga, etc. Il est certain que ce roman restera en tête de quiconque le lira de part sa profondeur thématique et son traitement par l'imaginaire véritablement abouti. Sa conclusion, bien que moins émouvante qu'espérée, s'avéra d'ailleurs sur la stricte même longueur d'onde que le reste : doux-amer. Il touche à l'épique tout autant qu'à l'intime.