Mères perdues
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Cette pièce en un acte (30 pages) est une démonstration de savoir-faire théâtral. Sur fond de repas de noce dans une famille petite-bourgeoisie, avec ses incidents attendus, Brecht parvient à faire passer une quantité étonnante de critiques sociales adressées à cette petite-bourgeoisie qui sert d'émétique de première intention à tous les marxistes.
Brecht ne prend même pas la peine de donner des noms aux personnages ("Le Père", "La Mariée", "Sa Soeur", "Le Marié", "Le Jeune Homme", etc.). On s'en fiche : ce sont des types sociaux à valeur pédagogique, et d'ailleurs ils sont assez peu différenciés entre eux; ce qui les unit, c'est précisément "l'esprit petit-bourgeois", et là, Brecht décharge sa bile.
Quasiment chaque réplique renvoie à l'un des vices reprochés aux petits-bourgeois : la vanité sociale s'y décline sous de nombreuses espèces : appel à la reconnaissance personnelle pour le moindre effort consenti (préparations culinaires, bricolages domestiques); obsession pour le "bon goût" esthétique, le qu'en dira-t-on futile, le "convenable" mesquin et étriqué, et fondé sur l'inculture . Un des ressorts principaux du comique dans cette pièce est la destruction progressive de tout le mobilier de la maison, que le marié se vante d'avoir construit et bricolé lui-même, mais tellement mal que tout se casse ou s'effondre progressivement : table, chaises, serrure, lit. La vulgarité et le mauvais goût reviennent en leitmotiv : anecdotes macabres, obscènes ou dégoûtantes alors qu'on devrait célébrer et honorer les mariés; on inonde d'Eau de Cologne (parfum bon marché !) les personnages pour couvrir la puanteur de la mauvaise colle utilisée lors des bricolages. Gourmandise et goinfrerie mal dissimulées. Rapports humains inauthentiques et affectés (le Marié et la Mariée s'engueulent dès que les invités sont partis). L'hypocrisie : la mariée se révèle enceinte alors que les convenances ne le permettent pas ! Brecht n'hésite pas à faire sévèrement critiquer sa propre pièce, "Baal", par ces imbéciles de soupente !
Derrière cet étalage de vices et de trivialités, il y a l'égoïsme bourgeois : vouloir être autonome, vouloir paraître tout fabriquer soi-même, même si on rate tout; s'inventer ses codes et rites personnels pour se distinguer de la populace, alors qu'on est au moins aussi vulgaire et ignorant qu'elle; la prétention creuse des arrivistes qui n'y connaissent rien est tellement bien tournée en dérision, que l'on retrouve dans ce portrait-charge la férocité des grands caricaturistes allemands du début du XXe siècle, à commencer par George Grosz. Brecht ne fait pas dans la nuance, et on rit réellement, ce qui n'est pas si fréquent chez ce maître.
Créée
le 3 juil. 2015
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