Thèses de La NH : La quête essentielle de soi-même [2/3]

La vertu est le devoir induit par le rang social, au contraire de l’amour unissant les cœurs : transparence parfaite de la volonté particulière à la lumière de la volonté générale.




I) Grandeur et misère de l’individu romantique




La subjectivité isole le jugement individuel. Elle s’oppose alors à l’objectivité. De cette isolement du jugement naît une autre opposition, entre individuel et collectif. Quel serait le collectif, en effet, sans participation de la subjectivité à des conceptions objectives ? A elle-même, la subjectivité est plus transparente qu’elle ne l’est aux autres. Ses motifs lui apparaissent avec une netteté imparfaite mais moins confuse qu’à un point de vue observant. Si l’objectif est le devoir vers lequel doit tendre le comportement, il forme un obstacle de la transparence de la subjectivité à elle-même (dans l’évidence du sentiment). Rousseau a en vue une société dépouillée de son hypocrisie : égalité de traitement entre l’état social (rapport entre tous les hommes) et la société avec ses rites mondains. La subjectivité est un obstacle à la fondation du Contrat. La volonté particulière met en péril la vertu.


Aux yeux de tous, Saint-Preux devrait faire preuve de continence, en raison de l’écart de rang social qui le sépare d'avec Julie (il est précepteur, elle est son élève). Il n’aurait pas dû développer de sentiment à son égard. Le rapport de classe est au désavantage du précepteur de Julie : les parents n’acceptent pas l’idée qu'un domestique convoite leur fille (Lettre XXII de Julie). De son point de vue, Saint-Preux voit clair dans ses sentiments. Son amour pour Julie l’écarte en apparence de la vertu préparée par les mœurs. La société est un obstacle aux mœurs singulières. De l’autre, sa passion pour Julie quoi qu’immorale lui apparaît avec une telle netteté de sentiment qu’il ne peut concevoir le mal fait en l’aimant. Cet amour consacre la rencontre de deux subjectivités face à leur responsabilité. La clarification de la subjectivité à elle-même s’exerce à l’aune de l’exigence de transparence des cœurs. (Lettre I de Julie).




II) Le paradoxe de l’hétéronomie amoureuse




L’amour est-il un agent aliénant ou libérateur ? « Je t'adore en dépit de moi-même » (Lettre I de Julie). L’hétéronomie devient une posture passive : chacun aliène sa liberté à l’autre. Dans ce partage d’humanités se joue peut-être l’un des plus grands défis proposés à la subjectivité : comment s’assurer de la pureté de son amour ?


L’amour est une aspiration à l’autre, mais cette aspiration est corrompue par sa réflexivité même. C’est l’autre que le sujet vise et il n’obtient jamais que sa propre validation. Quand Julie remet son destin entre les mains de Saint-Preux elle commet ce que jamais l’humanité ne devrait être amenée à commettre. En égalisant sa volonté sur celle de Saint-Preux, la confusion du pathos n’en ressort que plus forte, plus voyante. C’est d’elle qu’elle veut jouir, de ses propres sentiments, mais cette exaltation (sortie de soi) est médiatisée par un renoncement à sa liberté. Une lecture rapide nous fera assimiler l’amour-aliénation à la définition même de l’esclavage qu’en donne Rousseau.

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le 22 mars 2024

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